Si son titre convoque l’innocence, c’est pour mieux parler de la perte de celle-ci. A Plague Tale, sorti mardi 14 mai sur PC, PlayStation 4 et Xbox One, et développé par le studio bordelais Asobo, raconte l’histoire de deux gamins prêts à tout pour survivre dans un monde qui leur est hostile.

Nous sommes au XIVe siècle, quelque part dans le sud-ouest du beau royaume de France. L’été touche à sa fin, et dans les champs, les récoltes cèdent peu à peu la place aux cadavres fumants de l’envahisseur anglois. Mais si la guerre est aux portes et l’Inquisition aux aguets, tout ceci n’a que peu de prises sur Amicia, jeune noble s’initiant avec papa aux rudiments de la fronde. Encore insouciante, Amicia pulvérise des pommes, faute de pouvoir faire voler en éclat les crânes de ceux qui tenteront, plus tard dans le jeu, de faire du mal à son petit frère Hugo.

Car on s’en doute, tout va bientôt basculer. Hugo, jeune gamin fragile et possiblement malade, vit cloîtré, surprotégé par sa mère, et intéresse de très près l’Inquisition. C’est à ce moment-là que commence l’aventure.

A Plague Tale: Innocence - Gameplay Overview Trailer | PS4
Durée : 03:01

Dans la peau d’Amicia, il va falloir partir, fuir l’Inquisition et perdre ses parents pour mieux sauver ce petit garçon aux pouvoirs encore mystérieux. Deux gamins lancés sur les routes, au départ incapables de se défendre, obligés de se cacher en sautant de fourrés en buissons, lançant quelques cailloux dans l’espoir de détourner l’attention des gardes qui patrouillent. Deux gamins d’autant plus vulnérables que, on le comprend vite, la peste sévit tandis que dans les villes et les campagnes pullulent des hordes de rats qui n’en finissent plus de gonfler.

A Plague Tale est un jeu de rats comme il existe des jeux de zombies. C’est dans leur monde, un monde post-apocalyptique, que l’on vit désormais – et les humains n’y sont pas les bienvenus. Ils sont une menace perpétuelle, rôdant dans la moindre ombre, prêts à fondre sur les imprudents. Rien ne sert à chercher à en tuer un : ils reviennent toujours plus nombreux. Tout juste est-il possible de les repousser en agitant une torche, en se plaçant près d’un brasero.

Plein les yeux

Un document édifiant qui illustre bien la transformation apportée par le tram et plus généralement Alain Juppé à Bordeaux et sa région. / Focus Home Interactive

Si l’irruption de ces marées de rats, qui jaillissent du sol tels des geysers, a quelque chose d’horrifique, entraînant peu à peu A Plague Tale vers un gothique glauque à la Bloodborne, pour l’essentiel, il se déroule dans les décors d’un Moyen Age presque austère, plus proche de l’esthétique du Kingdom Come des Polonais de Warhorse Studios. Comme si, avec sa reproduction quasi-naturaliste d’une Europe médiévale, Asobo avait voulu rendre plus tangible, plus dure aussi, la violence à laquelle sont confrontés nos deux petits héros.

Sobre mais superbe, A Plague Tale a l’allure très réussie d’un jeu à gros budget, capable d’en mettre plein les yeux et d’un niveau technique qui est, en France, l’apanage d’une poignée de studios seulement – parmi lesquels il faudra donc désormais compter les jusqu’ici discrets Bordelais d’Asobo

Nettement plus inamical que le panda et moins rigolo que le pangolin, le rat fait un ennemi de jeu vidéo parfait. / Focus Home Interactive

On est alors un peu surpris, manette en main, de découvrir dans un premier temps un jeu finalement extrêmement simple, voire un peu simpliste, dans ses mécaniques. Jeu d’infiltration à l’ancienne, il reste pendant toute sa première moitié extrêmement sage, s’envisageant comme une succession de tableaux qu’il faut traverser, à coups de cailloux ou de hautes herbes, sans alerter la garde ou les rats. La solution est souvent unique, et les problèmes encouragent de toute façon assez rarement à la créativité.

Ce n’est alors pas tant le challenge qui prime mais cette histoire de fuite en avant, une histoire simple et assez touchante du reste, de grande sœur inquiète qui veille sur un petit frère en danger et néanmoins turbulent. Reste néanmoins des décors et des scènes marquantes, comme ces champs de bataille où les dépouilles humaines se mêlent aux charniers de cochons, abattus dans l’espoir d’endiguer la propagation de la peste.

Amicia n’hésite pas à faire tourner sa fronde comme d’autres les serviettes. / Focus Home Interactive

La victime devient bourreau

Ce n’est que plus tard dans l’aventure, à la moitié en fait, et avec la découverte de l’alchimie, que le contenu du jeu s’étoffe et que ses environnements s’ouvrent un peu. De pure expérience narrative, le jeu tend alors vers un produit ludique plus riche, qui lâche un peu davantage la bride au joueur. Comment se débarrasser de ce garde en armure ? En le contournant ? En faisant une diversion ? En lui lançant un projectile qui dissoudra son casque pour le rendre vulnérable aux attaques ? Ou alors, plus vicieux, en faisant tomber la torche qui lui sert à éloigner les rats ?

Car le rapport avec les créatures honnies va progressivement basculer. La menace va se faire outil, puis, bientôt, alliée, tandis que de victimes, nos deux petits héros se muent peu à peu en guerriers, voire en bourreaux. C’est dans ces moments d’ambiguïté morale, quand la sœur envisage le pire pour défendre le petit frère menacé, que le jeu d’Asobo se fait le plus intéressant.

En bref

On a aimé :

  • Une véritable réussite graphique et musicale
  • Sa belle reproduction de la France médiévale
  • Ses tableaux gothiques et cauchemardesques

On n’a pas aimé :

  • Une première moitié un peu sage, qui ne laisse pas beaucoup de latitude au joueur

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous trouvez The Last of Us trop urbain
  • Vous avez le vertige dans Dishonored
  • Vous regrettez que l’univers de Thierry La Fronde n’ait jamais été adapté en jeu vidéo

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous êtes musophobe
  • C’est-à-dire que vous avez peur des rats
  • Guillaume Musso n’a rien à voir là-dedans, laissez-le tranquille

La note de Pixels

15 millions de rats/20