Des recruteurs de la SNCF font passer des job-datings durant deux jours. / Pierre Bouvier pour Le Monde

Il est 14 heures, rue du Charolais, à deux pas de la gare de Lyon. Une foule interminable s’amoncelle devant Ground Control. Le site de 6 000 mètres carrés, prisé des Parisiens en quête de grands espaces, est coutumier des longues files d’attente. Cette fois, le public est venu, porte-documents à la main, tenter sa chance au forum emploi de la SNCF, qui se tenait lundi 13 et mardi 14 mai.

Depuis plusieurs semaines, le groupe ferroviaire annonce, à grand renfort de campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux et d’affichages publics, vouloir recruter 4 500 cheminots en CDI, dont 2 500 pour la seule région Ile-de-France, en 2019. « Cette opération a été lancée car la population ne connaît pas les métiers du ferroviaire, alors que nous sommes l’un des plus gros recruteurs de France », explique Benjamin Raigneau, directeur des ressources humaines de la SNCF. L’énarque de 35 ans précise :

« Face à l’augmentation du trafic et à l’évolution du groupe, nous cherchons des profils variés et des compétences spécifiques. »

Conducteur de train, aiguilleur, ingénieur, mécanicien de maintenance, électricien, agent commercial, constituent autant de métiers recherchés par la SNCF. Diplômés ou non, les candidats avaient jusqu’à mardi soir pour découvrir ces postes, déposer un CV ou rencontrer des recruteurs. Au total, quelque 7 000 personnes s’étaient préinscrites sur Internet, s’assurant ainsi un job-dating, c’est-à-dire un entretien express et chronométré avec un recruteur de la SNCF.

Dans la file d’attente de près de 300 mètres, les candidats lisent un tract du syndicat Sud-Rail, lundi 13 mai, devant le Ground control, à Paris. / Pierre Bouvier pour Le Monde

Recherche de stabilité

Mais lorsqu’elle a voulu s’inscrire, Keysa, 20 ans, s’est vue opposer un refus, les préinscriptions étant complètes. Elle est donc venue au débotté, accompagnée de deux amies, elles aussi munies de leur CV, « parce qu’on sait jamais ». A l’instar des autres personnes interrogées dans la longue file d’attente, la jeune femme témoigne d’un environnement professionnel moribond, où les postes sont rares et la précarité est de mise.

Titulaire d’un bac ES, Keysa, arrivée de Guadeloupe en métropole il y a un an, travaille dans la restauration six jours sur sept et complète son salaire avec des missions d’intérim. Aujourd’hui, après avoir consulté la fiche métier de la SNCF, elle se verrait bien agent de service en gare, « pour aider les gens et parce que je suis sociable ». « Ça passe ou ça casse », lance la jeune femme, résumant l’état d’esprit de nombreuses personnes se présentant à l’improviste devant l’entrée du Ground Control.

« C’est la dernière année pour postuler et avoir le statut »

Hocine, 26 ans, cumule les diplômes et recherche actuellement un emploi. Celui qui se décrit comme un digital native estime que les métiers proposés ne correspondent pas vraiment à ce qu’il cherche, mais il tente « le coup de poker » : « La SNCF est une grosse boîte qui pourrait m’apporter des opportunités », commente le jeune homme, venu de Creil (Oise) avec un ami. Ce dernier complète : « C’est aussi la dernière année pour postuler et avoir le statut. »

Jusqu’à l’âge de 30 ans, les personnes embauchées d’ici à la fin de l’année pourront en effet bénéficier du statut de cheminot, qui met à l’abri d’un licenciement économique. Les recrutements sous ce statut cesseront au 1er janvier 2020, avec la mise en œuvre de la réforme ferroviaire votée l’an dernier, qui a donné lieu à un mouvement de grève inédit de trois mois.

Bastien, 20 ans, est venu de Brétigny-sur-Orge (Essonne) pour postuler à la SNCF. / Pierre Bouvier pour Le Monde

Si la question du statut revient sporadiquement dans les témoignages que nous avons recueillis, les postulants évoquent surtout des « avantages » secondaires, comme « l’aide au logement » ou encore « les tarifs de train avantageux ». Surtout, c’est l’image de « stabilité » et de « solidité » de l’entreprise qui semble motiver les candidats. Bastien n’a pas encore terminé ses études, qu’il anticipe déjà « le marché du travail compliqué » qui l’attend. L’élève en terminale technologique, venu de Bretigny-sur-Orge (Essonne), se dit « prêt à tout faire à la SNCF ».

« Le couac de la rémunération »

David, lui, a un projet professionnel plus abouti. Le quadragénaire venu d’un petit village du Loir-et-Cher espère obtenir un entretien au poste de conducteur. Le candidat, qui conduit des trains « mais sur une petite ligne du groupe Keolis, connaît déjà les horaires décalés et le travail les jours fériés ». Désireux d’intégrer la SNCF depuis plusieurs années, il considère que « le groupe offre plus de perspectives, une possibilité de se former tout au long de sa carrière, et un salaire plus important ».

David, 48 ans, est venu du Loire-et-Cher pour candidater en tant que conducteur à la SNCF, lundi 13 mai. / Pierre Bouvier pour Le Monde

Le salaire constitue une motivation pour certains et un inconvénient pour d’autres. Nizar, 35 ans, qui vient de participer à un escape game avant son entretien express au poste de superviseur du réseau électrique ferroviaire, annonce la couleur : « Je ne veux pas travailler en dessous de 2 600 euros net par mois ». L’employé dans les télécommunications se dit lassé des postes de contractuels qu’il cumule depuis huit ans. Mais s’il souhaite « intégrer la fonction publique », il sait que le salaire sera moins juteux que dans le privé.

« Sur certains postes, nous avons une pénurie de candidatures »

Katia (le prénom a été changé à sa demande), chargée de recrutement à la SNCF, qui réalise pendant deux jours des entretiens de job-dating, évoque effectivement « le couac de la rémunération ». La trentenaire, qui a retenu « une quinzaine de dossiers intéressants » en quelques heures, évoque les prétentions salariales trop élevées de certains candidats, postulant à des « métiers en tension », comme la gestion des systèmes informatiques, où l’offre est supérieure à la demande. « Sur certains postes, nous avons une pénurie de candidatures », reconnaît-t-elle, confirmant les propos des syndicalistes du groupe, présents à l’entrée du site.

Pour Fabien Villedieu, délégué syndical Sud-Rail, cet événement, inédit de la part de la SNCF, souligne « une difficulté à recruter ». « Avec la réforme du ferroviaire, impliquant notamment une remise en cause du statut de cheminot, la SNCF est confrontée à un manque d’attractivité », estime le délégué syndical, précisant que le nombre de candidats est passé de 300 000 en 2017 à 200 000 en 2018.

Interrogé sur ce point, le directeur des ressources humaines confirme que « pendant le conflit social, nous avons reçu moins de candidatures ». Et d’ajouter : « Regardez le monde dehors qui vient chercher un métier qui a du sens ». Il est 18 heures, le lieu ferme dans quatre heures, plus personne n’attend dehors.