Editorial du « Monde ». Sitôt connus les deux finalistes de la Ligue des champions, l’Union des associations européennes de football (UEFA) et son président slovène, Aleksander Ceferin, ont eu beau jeu de célébrer la « glorieuse imprévisibilité » du football. En matière de dramaturgie, l’édition 2018-2019 de la compétition aura été, certes, l’une des plus captivantes : Tottenham et Liverpool n’ont-ils pas, contre toute attente, renversé la situation en battant respectivement l’Ajax Amsterdam, surprenant demi-finaliste, et Barcelone lors de la manche retour ?

L’élimination précoce du Real Madrid – triple tenant du titre et treize fois vainqueur du trophée –, et du Bayern Munich – présent sept fois en demi-finales depuis 2010 – a contribué à déverrouiller un tournoi devenu l’apanage des clubs les plus titrés. Ce contexte rafraîchissant ne doit pas masquer les manœuvres en coulisse des dirigeants du football européen. A l’initiative de la puissante Association européenne des clubs et de son patron, l’Italien Andrea Agnelli (par ailleurs président de la Juventus Turin), un projet de refonte de la compétition doit être voté par le comité exécutif de l’UEFA, en décembre 2019.

Cette réforme aurait pour but de créer une « ligue fermée » à partir de 2024. Cette nouvelle formule, comprenant quatre poules de huit équipes, permettrait aux vingt-quatre meilleures formations du tournoi d’être directement qualifiées pour l’édition suivante. Seules quatre places sur trente-deux seraient attribuées par le biais des championnats nationaux.

Encore à l’état d’ébauche, ce projet a provoqué l’ire de l’Association des Ligues européennes. Laquelle a organisé, les 6 et 7 mai, une « réunion d’information pour la défense des championnats nationaux », à laquelle ont participé plus de deux cents clubs, dont dix-neuf français. Les meneurs de la fronde craignent que cette réforme scelle le déclin des compétitions locales et alourdisse un calendrier déjà saturé. Ils pointent aussi le risque d’une concentration accrue des richesses et d’une aggravation du déséquilibre entre les équipes.

Les partisans de la refonte espèrent, eux, une hausse mécanique des droits télévisés européens, synonyme d’une meilleure redistribution des revenus aux petits pays, et défendent une logique élitiste « inévitable », profitable à tous. Déjà pénalisés par la précédente réforme, très favorable à l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie, les Français devaient, dans leur grande majorité, confirmer leur hostilité au projet, mercredi 15 mai, lors d’une Assemblée générale extraordinaire de la Ligue de football professionnel.

Reconduit en février pour un deuxième mandat à la tête de l’UEFA, Aleksander Ceferin s’était engagé à ne pas créer de « ligue fermée ». « Cela tuerait le foot et ce serait ennuyant de voir le PSG contre la Juventus Turin chaque semaine », confiait-il au Monde, juste avant sa réélection. Dans une position d’équilibriste, souvent pris en porte-à-faux entre des intérêts divergents, le Slovène va devoir clarifier sa position, le 17 mai, lors d’une réunion à Nyon (Suisse) avec les présidents des fédérations nationales.

A l’heure où le public se passionne pour une compétition qui n’a jamais été aussi ouverte, le patron du football européen ne peut cultiver l’ambivalence : d’un côté se féliciter du suspense retrouvé en Ligue des champions et de l’autre pousser une réforme susceptible de tuer l’aléa sportif et de favoriser encore davantage les clubs les plus riches et les plus titrés.