ARTE - MERCREDI 15 MAI - 20.50. FILM

Au tout début de Julieta, la caméra caresse les plis d’un tissu rouge qui entoure un objet. Après les artifices outrés des Amants passagers, Pedro Almodovar signale ainsi son désir de filmer de nouveau la beauté – qui est d’ordinaire chez lui un chemin vers la douleur. Le tissu rouge servira d’emballage à un fétiche que Julieta (Emma Suarez, en ce prologue) emmènera loin de la capitale espagnole, pour suivre son amant, Lorenzo (Dario Grandinetti). Une rencontre dans la rue, avec une amie de sa fille, Antia, lui fait changer d’avis.

A partir de ce moment, Julieta se pare des atours du thriller psychologique, puis du mélodrame. Pedro Almodovar mettra en scène un drame affreux dans une gare, une gouvernante inquiétante, une catastrophe maritime. Tout ça pour donner des contours, une matière au malheur de Julieta, mère atteinte d’une blessure incurable. Or, cette blessure n’a rien d’extraordinaire. Ce n’est que celle que portent tous les parents qui se sont aliéné leurs enfants. De cet alliage entre la banalité de la douleur et les formes fantastiques que peut lui donner le cinéma, ­Almodovar fait un beau film d’une tristesse très pure.

Un rêve éveillé

Après avoir croisé l’amie de sa fille, Julieta loue, à l’insu de ­Lorenzo, un appartement dans lequel elle a déjà vécu. Les déambulations de l’esseulée dans des lieux infestés de souvenirs cèdent bientôt la place à de longs flash-back. Julieta prend alors les traits d’Adriana Ugarte. Au hasard d’un voyage nocturne en train qui ressemble à un rêve éveillé, elle rencontre Xoan, pêcheur galicien. Les péripéties de cette nuit d’hiver s’imprimeront aussi définitivement sur les rétines du spectateur qu’elles sont censées le faire dans l’inconscient de l’héroïne.

Plus tard, la jeune femme prendra la décision de rejoindre Xoan, qu’elle découvrira veuf de fraîche date et sous la coupe d’une femme de ménage, Rossy de Palma, une femme cruelle confite en dévotion pour son maître, capable de toutes les cruautés. Tout est clair alors, la faute de la mère, la colère de la fille. Mais rien n’est résolu, rien n’est pardonné.

Un moment, l’auteur de Parle avec elle avait envisagé de tourner ­Julieta en Amérique du Nord. Il s’est finalement résolu à rester en Espagne, à donner comme chambre de deuil à Julieta un appartement décoré comme dans les années 1980, au temps de ses premiers films.

Julieta, de Pedro Almodovar avec Emma Suarez, Adriana Ugarte, Daniel Grao (Esp. 1 h 36). www.arte.tv/fr/videos/080485-000-A/julieta/