L’usine d’Ascoval de Saint-Saulve (Nord), le 8 novembre 2018. / Pascal Rossignol / REUTERS

Cela ressemble à un très mauvais remake de Groundhog Day (Un jour sans fin). Soit un perpétuel recommencement. A peine repris, le 2 mai, les 270 salariés d’Ascoval pourraient se retrouver à nouveau à la case faillite après la vraie fausse reprise, début 2019, par Altifort. Les incertitudes liées au Brexit sont très largement responsables du problème.

British Steel, le dernier repreneur désigné de l’aciérie de Saint-Saulve, a annoncé mardi 14 mai mener des discussions avec ses créditeurs et le gouvernement britannique afin d’obtenir un soutien financier d’urgence. Sinon, le sidérurgiste, qui emploie 5 000 salariés, dont 4 200 au Royaume-Uni, risque tout simplement de se mettre en faillite, entraînant peut-être sa toute nouvelle filiale.

« Le problème ne se situe pas au niveau de British Steel, qui gagne de l’argent, mais au niveau de la holding, explique Paul McBean, président des syndicalistes de British Steel. Il y a besoin de 75 à 100 millions de livres (86 à 115 millions d’euros) pour continuer les activités. »

La « holding » désigne l’actionnaire principal, Greybull Capital, un fonds qui appartient aux frères Marc et Nathaniel Meyohas, qui ont acheté British Steel en 2016. « La situation est très sérieuse », ajoute M. McBean. Les négociations entre les créditeurs, les actionnaires, le gouvernement britannique et les syndicats continuaient mardi soir.

« L’incertitude du Brexit »

L’entreprise affirme cependant que ces problèmes sont sans incidence sur la reprise d’Ascoval. « Les discussions n’ont pas d’impact sur la volonté du groupe de se porter repreneur de l’aciérie Ascoval de Saint-Saulve », explique-t-elle dans un communiqué. En France, Bercy précise que « l’Etat, en accord avec la région Hauts-de-France et la métropole de Valenciennes, (…) apportera sa part du financement dans les conditions négociées, afin de permettre l’effectivité de cette reprise dès (…) mercredi 15 mai ».

Les raisons des problèmes de financement actuels de Greybull Capital ne sont pas connues. « Mais ça vient de l’incertitude du Brexit, explique M. McBean, installé à Scunthorpe, dans le nord de l’Angleterre, où se trouve la principale aciérie du groupe. On peut gérer la sortie de l’Union européenne, ou le fait de rester dans l’UE. Mais on est entre les deux, dans les limbes, et plus personne ne veut prendre la moindre décision d’investissement ou de financement. »

Selon un proche du dossier côté français, l’affaire illustre la réalité du Brexit. L’aciériste a besoin d’avoir des sites en Europe pour éviter de payer les droits de douane en cas de Brexit. « La vérité, c’est que British Steel est confronté à une baisse de son carnet de commandes au Royaume-Uni du fait des incertitudes, et qu’il cherche à produire sur le continent, où ce serait moins cher », pense une autre source proche du dossier. « Jusqu’à présent, personne ne savait évaluer les conséquences du Brexit en matière économique et industrielle », explique un observateur. Avec Ascoval, voilà la Grande-Bretagne face à un cas concret.

Un premier prêt d’urgence

Jusqu’où ira le gouvernement britannique dans cette affaire ? « Ils ne peuvent pas se permettre de perdre la maison mère et 5 000 emplois, estime un proche du dossier. Mais entre Nigel Farage [leader du parti du Brexit] et un gouvernement conservateur aux abois, c’est tendu. »

British Steel avait déjà connu de sérieux problèmes le 1er mai. La société devait rembourser en urgence 120 millions de livres (138 millions d’euros) de permis d’émission de CO2 de l’UE, qu’elle aurait normalement obtenus gratuitement si le Brexit n’avait pas lieu. Le gouvernement britannique avait accepté de lui verser un prêt d’urgence pour payer cette somme.

British Steel s’était en effet retrouvé prisonnier du système des droits d’émission de CO2, organisé par l’UE. Chaque année, le sidérurgiste reçoit un certain nombre de « droits à polluer », à titre gratuit, comme ses concurrents continentaux. Mais, depuis le 1er janvier, Bruxelles a décidé de ne plus accorder de nouveaux permis d’émission aux entreprises britanniques.

« En cas de “no deal”, l’UE craignait que les entreprises britanniques se retrouvent avec des permis dont elles n’auraient plus besoin et dont elles inonderaient le marché », explique Richard Warren, de UK Steel, l’organisation représentant la sidérurgie britannique. Pour British Steel, cette décision de Bruxelles a été une catastrophe. Il devait rembourser un déficit de 120 millions de livres de permis pour l’année 2018, et comptait utiliser son allocation de 2019 pour cela.

« Des milliers d’emplois britanniques sont en jeu »

La date butoir pour verser cette somme à l’UE était le 1er mai. Faute d’y parvenir, il risquait une amende de 500 millions de livres. Impossible pour une société fragile, qui ne réalise que 20 millions d’euros de résultat net pour un chiffre d’affaires de 1,6 milliard.

Dans l’urgence, le gouvernement britannique lui a accordé le 1er mai un prêt temporaire, assujetti à un taux d’intérêt d’environ 8 %. Une fois que la question du Brexit sera résolue, et que British Steel aura touché de l’Union européenne ses crédits carbone, il les revendra et pourra alors rembourser le gouvernement.

« On connaissait ce problème des permis d’émission de CO2 et ce n’était pas une surprise, explique M. McBean. En revanche, les difficultés de la holding étaient complètement inattendues. » Le syndicat GMB a appelé pour sa part le gouvernement à accorder au plus vite le prêt réclamé par British Steel. « Des milliers d’emplois britanniques sont en jeu, sans parler de l’avenir de notre industrie sidérurgique », a déclaré Ross Murdoch, responsable national du syndicat.

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