Le Monde

« L’Ile mystérieuse. Tome II : L’Abandonnée », de Jules Verne, Le Monde, 240 p., 10 €. En kiosque.

« Car que faire en un gîte à moins que l’on y songe ? », écrivait La ­Fontaine de son lièvre peureux, en un vers d’ailleurs cité dans La ­Maison à vapeur (1880). Et que faire dans une île déserte et sauvage, une île où vous ont jeté les rigueurs de la guerre puis la violence d’un ouragan, à moins que de tenter, loin de toute songerie, d’y survivre coûte que coûte ?

C’est la leçon que vivent et endurent Cyrus Smith et son chien Top, Gédéon Spilett, Nab, Pencroff et Harbert Brown, tous héros de L’Ile mystérieuse (1874) dont la première partie, Les Naufragés de l’air, nous a montré à quel point ils étaient ­capables, aidés néanmoins par un mystérieux bienfaiteur, de réinventer la civilisation sous ses formes, scientifiques, agropastorales et architec­turales.

A quelques encablures

Paru en 1874, comme les deux autres parties du roman, Les Naufragés de l’air et Le Secret de l’île, la partie médiane, L’Abandonné ­confronte les héros à une nouvelle tâche : non plus refonder civilisation et culture, mais recréer un homme, rendre son humanité à un inconnu retourné à la sauvagerie. C’est en effet sur l’îlot Tabor, situé à quelques encablures de « l’île mystérieuse », l’île Lincoln, qu’est découverte « une misérable créature », « chevelure hérissée, barbe inculte descendant jusqu’à la poitrine, corps à peu près nu, (…) yeux farouches, mains énormes, ­ongles démesurément longs ».

Rendu à une digne apparence, peu à peu resocialisé et intégré dans un groupe dont il partage les activités, le rythme de vie et les risques, l’« abandonné » finit par narrer son histoire : il s’agit en réalité d’Ayrton, le traître des Enfants du capitaine Grant (1868), abandonné là pour expier sa félonie.

Deux éléments forts parcourent L’Abandonné : d’une part la démonstration en actes d’une possible ­reconstruction individuelle grâce à la confiance et une patiente pédagogie, d’autre part une mise en abyme du roman : Ayrton, sur l’îlot Tabor, offre en réduction l’image des colons de l’île Lincoln, sa solitude ­farouche et stérile s’offrant en ­contrechamp à l’industrieuse et ­paisible discipline du groupe. Paix, société et travail, telle semble la ­morale du ­second volet de cette épopée ­insulaire.

« Le Monde » présente les « Voyages extraordinaires » de Jules Verne dans la collection Hetzel, sur le Net et sur YouTube

Retrouvez chaque semaine en kiosque la suite de l’intégrale des « Voyages extraordinaires » de Jules Verne.