Nathalie Loiseau, tête de liste de la majorité, et Jordan Bardella, son rival du Rassemblement national, lors de leur débat télévisé, à Paris, le 4 avril. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Lui appelle à un « référendum » contre la politique d’Emmanuel Macron. Elle estime qu’il n’y a « pas de France forte sans Europe forte ».

Mercredi 15 mai, à onze jours des élections européennes, s’est joué sur BFM TV « le » face-à-face entre les deux favoris des sondages. Pendant près d’une heure, le candidat du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, et celle de La République en marche (LRM), Nathalie Loiseau, ont alterné propositions et coups bas, défendant deux programmes aussi radicalement différents que leur vision de l’Europe. Frontières, smic européen, intégration européenne, accords de libre-échange… Les deux formations s’opposent sur presque tous les sujets.

Dans l’espoir de mobiliser son électorat, chacun a donc appuyé sur ses fondamentaux. Sans surprise, Mme Loiseau a ainsi souligné l’importance de l’Europe pour se défendre dans la mondialisation. « Pour être une puissance face à la Chine, aux Etats-Unis ou à la Russie, ce n’est pas la France seule qui pourra négocier mais l’Union européenne [UE] », a-t-elle souligné. M. Bardella, lui, a plaidé pour une « Europe des nations », en se posant comme le « défenseur des peuples » et des frontières.

Sur la question migratoire, l’ancienne ministre des affaires européennes est restée fidèle à sa ligne médiane : « accueillir les demandeurs d’asile » tout en « luttant contre l’immigration illégale ». Lui a campé sur sa position de fermeture. « Il faut rétablir des portes à la maison France » et « couper le robinet », a-t-il affirmé, insistant sur la « bombe démographique » représentée, selon lui, par « le continent africain ».

Prise de bec sur le smic

Même antagonisme sur l’économie. L’occasion pour la candidate de la majorité de défendre son idée de « smic européen » et de démentir les accusations de l’opposition : « Il n’a jamais été question de baisser le smic français. »

L’occasion, surtout, pour Jordan Bardella de se poser en défenseur des « travailleurs français » et en opposant radical au « mondialisme », synonyme selon lui d’« esclavagisme humain ». « Vous voulez mettre fin au commerce international ! », a rétorqué Mme Loiseau.

Aucun n’a évidemment oublié d’appuyer sur les faiblesses de l’adversaire pour tenter de le disqualifier. La candidate macroniste a accusé son concurrent lepéniste de ne pas assumer de vouloir « sortir de l’UE » in fine, alors que le parti d’extrême droite a opéré une volte-face en la matière depuis la présidentielle : plus question de quitter l’UE, désormais, le RN affirme vouloir la « transformer » de l’intérieur. Même pirouette sur l’euro, alors que Marine Le Pen basait une grande partie de son projet présidentielle, en 2017, sur sa sortie.

M. Bardella a quant à lui accusé l’ancienne ministre d’être soumise aux « intérêts privés ». Il a ainsi lourdement insisté sur l’alliance entre LRM et l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE), le groupe parlementaire européen critiqué en mars pour avoir reçu de l’argent du groupe Bayer-Monsanto, vendeur du glyphosate.

Attaques personnelles

D’abord cordial, l’échange s’est rapidement tendu. Quitte à hausser le ton et à tomber, parfois, dans des attaques personnelles.

« On n’a jamais entendu parler de vous ! », a lancé M. Bardella. « Ne soyez pas agressif et nous aurons une discussion civilisée », a rétorqué Mme Loiseau. Tous deux se rejoignent en revanche sur une formule partagée : « Ce n’est pas parce que vous le répétez que cela devient vrai. » Et chacun de conseiller à l’autre d’arrêter « fake news » et « éléments de langage ».

Le fidèle lieutenant de Marine Le Pen, 23 ans, et l’ancienne directrice de l’ENA ont finalement joué deux partitions inconciliables. Nathalie Loiseau s’est surtout attachée à défendre son projet, en usant de son habituel ton professoral. Au risque de donner l’impression de prendre de haut son adversaire, lequel a pointé son « arrogance » à plusieurs reprises. Jordan Bardella, lui, a sorti la carte du parti qui n’a jamais gouverné, et appelé clairement à un vote sanction contre le chef de l’Etat : « Si Emmanuel Macron arrive en tête, alors il se sentira légitimé dans l’arrogance et le mépris qu’il a exprimé, et dans la politique qui est la sienne. »

Derrière celui des deux têtes de liste, c’est en effet surtout un autre match qui se rejouait, deux ans après, presque jour pour jour : le face à face Macron-Le Pen du second tour de la présidentielle. Depuis des semaines, tous deux s’impliquent d’ailleurs directement dans la campagne, en mettant en scène leur propre duel. Alors qu’Emmanuel Macron a assuré qu’il « mettrait toute [son] énergie pour que le RN ne soit pas en tête », Marine Le Pen l’a appelé à « partir » s’il perdait.

Depuis deux ans, « rien n’est venu pour l’heure déstabiliser le duopole », observe le directeur général délégué de l’institut de sondages Ipsos, Brice Teinturier. Ni la gauche éclatée, ni la « petite dynamique » Bellamy, qui s’est rapidement essoufflée à droite. A ses yeux, LRM et le RN ont intérêt à « maintenir la pression sur un affrontement opposant deux forces » dans une campagne « atone », où « rien n’accroche ». « Cela permet d’étouffer les autres partis politiques. » Reste à savoir si, en dix jours, l’opposition parviendra à s’inviter dans un duel programmé à l’avance.