Fabio Quartararo, à gauche, en 2015. / VINCENT JANNINK/AP

Il suivait le rythme effréné de l’intouchable Marc Marquez depuis quelques minutes quand sa boîte de vitesse a fait des siennes. Alors deuxième à l’entame du treizième tour, il a vu, impuissant, ses ambitions s’envoler. Rentré en larmes dans les stands du circuit de Jerez, lors du Grand Prix moto d’Espagne, le 5 mai, Fabio Quartararo était inconsolable. Cette frustration, rageant et encourageante à la fois, il cherchera à l’évacuer définitivement à l’occasion du GP de France, ce week-end au Mans, son cinquième départ chez les « grands ».

Depuis ses débuts dans la catégorie reine des courses de vitesse sur asphalte, le jeune Niçois épate. Huitième en Argentine, septième au Texas, le motard a signé le plus gros coup d’éclat de sa jeune carrière en dominant les qualifications du GP d’Espagne, devenant, à 20 ans et 14 jours, le plus jeune poleman de l’histoire devant Marquez. Sa machine l’a lâché au pire des moments, mais celui que l’on surnomme « El Diablo » a montré à ceux qui en doutaient encore qu’il n’était pas ici par hasard.

« Très honnêtement, personne ne s’attendait à ça. Même pas lui-même, je pense, sourit Christian Sarron, vainqueur du GP d’Allemagne en 1985. Il avait un podium assuré dès sa quatrième course dans la plus haute catégorie, c’est quand même exceptionnel. »

Fabio Quartararo cultive cette exception depuis son plus jeune âge. Il n’a même pas 16 ans lorsqu’il effectue ses premiers tours de roues en championnat du monde de Moto 3, aux côtés de pilotes bien plus expérimentés. Pas impressionné pour autant, il signe, au Texas, un podium dès sa deuxième course. Une performance que le président de la Fédération française de motocyclisme, Jacques Bolle, qualifie de « rarissime et hors normes pour un pilote si jeune ».

« Personne ne s’attendait à ça »

Une précocité qui l’avait conduit, dès ses plus jeunes années, sur les circuits du championnat espagnol de Moto 3, la compétition junior la plus relevée du monde. Les centaines de kilomètres aller-retour avalés chaque week-end avec son père Etienne, ancien champion de France en 125 cm3, portent leurs fruits : il est sacré double champion d’Espagne de Moto 3 en 2013 et 2014, et les suiveurs le qualifient déjà de futur phénomène de la moto.

Après des débuts prometteurs, il finit dixième du classement de Moto 3 avec deux podiums à son actif. La saison suivante n’est pas celle de la confirmation : au guidon de la KTM du Team Leopard Racing, il termine treizième du championnat, avec deux quatrièmes places en Autriche et en Malaisie. Cela ne l’empêche pas de rejoindre la catégorie Moto 2 et l’écurie espagnole Pons HP40 en 2017, mais Fabio Quartararo connaît à nouveau une période délicate (treizième du championnat et sixième du GP de Saint-Marin, son meilleur résultat).

Quarante-neuf départs en championnat du monde, deux podiums : le Niçois a tardé à répondre aux espérances placées en lui. Signe qu’il n’a pas supporté cette pression mise sur lui trop tôt, trop vite ? « Ça a été difficile pour lui, confirme Olivier Jacque, 43 départs à son actif en Moto GP. C’était la référence dans le championnat espagnol. En Moto 3, il a fait fort d’entrée de jeu. Je pense qu’il a eu du mal, par la suite, à supporter l’attente de tout le monde. »

Le talent, les espoirs et la pression

Sa seconde saison en Moto 2, au sein de l’équipe italienne Speed Up Racing, sera de meilleure facture. Son premier succès en Catalogne, suivi d’une deuxième place aux Pays-Bas, attire l’attention de l’équipe malaisienne Petronas Yamaha SRT, qui lui ouvre les portes du championnat du monde Moto GP. Une belle opportunité, qu’il saisit.

Fabio Quartararo, le 5 mai lors du GP d’Espagne. / Miguel Morenatti / AP

« Il faut qu’il se fixe un objectif sur trois ans, poursuit Jacque. La première saison pour apprendre, la deuxième pour passer une étape et être régulièrement sur le podium, et la troisième pour viser le top 3 à chaque course et être un peu plus calculateur. Il doit accumuler de l’expérience. » Cette même expérience qui lui a manqué au Qatar, à l’occasion du GP d’ouverture de la saison : cinquième sur la grille, il cale au départ du tour de formation et est contraint de partir des stands.

Sur le circuit de Losail (Qatar), il signe le meilleur tour en course (en 1 min 55 s 039), s’offre un dépassement de prestige sur Jorge Lorenzo et termine à la 16e place, aux portes des points et du top 15. Déjà la déception teintée de promesses.

« On voit que la Yamaha est clairement dans le coup, c’est une moto performante, détaille Christian Sarron. Ça a l’air d’être une machine relativement facile à piloter. Mais, surtout, Fabio est très bien dans sa tête, il est dans une excellente équipe et il montre ses dons de pilote. Tout ça, ça donne ces résultats en apparence surprenants. »

Le Mans pour effacer Jerez

L’objectif, pour Quartararo, est d’oublier au plus vite la désillusion espagnole. Le GP de France, sur le mythique circuit du Mans, arrive donc au meilleur des moments. Mais, face aux attentes, la pression sera conséquente.

« Une victoire en Moto GP, c’est un autre domaine… C’est le Graal, c’est comme gagner une Champion’s League, assure Claude Michy, l’organisateur du GP. L’espoir de tous, c’est de voir gagner un pilote français, c’est évident. Le plateau est costaud. Mais Fabio est dans une phase optimale. »

« S’il fait un podium, ça sera déjà super, estime Laurent Fellon, l’ancien manager de l’autre pilote français en Moto GP, Johann Zarco. Il ne faut pas aller trop vite avec lui. Le plus dur, maintenant, c’est de garder les pieds sur terre. »

Le Niçois n’avait que 4 mois lors de la victoire de Régis Laconi au GP de Valence 1999, le dernier succès tricolore dans la catégorie. Il est, avec Christian Sarron, et Pierre Monneret au GP de France 1954, l’un des trois Français à avoir réalisé pareille performance. Cela fait vingt ans que l’Hexagone attend son successeur.

Johann Zarco, en difficulté en ce début de saison, est souvent passé tout près (six podiums en deux ans). Désormais, c’est son cadet qui cristallise les espoirs nationaux, lui qui rêve de décrocher son premier podium devant son public. Ou au moins de défendre ses chances sans que sa moto lui fasse le coup de la panne.

Lohan Benaati