Le pape François et Olivier Ribadeau-Dumas, secrétaire général de la Conférence des évêques de France, au Vatican, le 12 avril. / VATICAN MEDIA / AFP

Après des siècles de déni, l’Eglise catholique de France fait un pas timide mais sans précédent vers la reconnaissance des enfants de prêtre. Trois d’entre eux, membres de l’association française Les Enfants du silence, qui compte une cinquantaine d’enfants de prélats, ont été reçus pour la première fois – à leur demande – par un responsable ecclésiastique, selon les informations du Monde.

La rencontre, restée jusqu’ici confidentielle, s’est tenue le 4 février à Paris dans les locaux de la Conférence des évêques de France (CEF), qui rassemble l’ensemble des évêques et cardinaux du pays. Pendant une heure et demie, Olivier Ribadeau-Dumas, le secrétaire général de la CEF, a écouté leur témoignage sur ce sujet tabou. Une discussion « cordiale et constructive », explique l’intéressé, qui a entendu les « souffrances » de ces hommes et de ces femmes considérés comme les fruits du péché, rejetés et élevés dans la honte et le secret.

Cet échange, Anne-Marie Jarzac, fille d’un prêtre et d’une nonne et présidente des Enfants du silence, l’a longtemps attendu. « C’était un moment très émouvant, raconte cette retraitée de 67 ans. Pour la première fois, on a senti que l’Eglise nous ouvrait les portes, qu’il n’y avait plus de déni mais une écoute et une prise de conscience de ce que nous avons vécu ».

La délicate question du sort réservé aux prêtres ayant un enfant au cours de leur sacerdoce a été abordée, ainsi que la reconnaissance de ces enfants dans les communautés paroissiales.

Signe d’une évolution historique de l’Eglise de France en la matière, Olivier Ribadeau-Dumas a proposé que des enfants de prêtre rencontrent des évêques chargés de la formation des prélats lors des prochaines réunions de la commission épiscopale pour les ministères ordonnés et les laïcs en mission ecclésiale (Cemoleme), afin qu’ils puissent témoigner. La première rencontre se tiendra le 13 juin. « C’est une sacrée étape, se réjouit Mme Jarzac. Je pense à tous ces enfants de prêtre qui cherchent désespérément à savoir qui est leur père et qui se heurtent au silence de l’Eglise. Je commençais à perdre espoir. »

Un document secret

Ce geste d’ouverture intervient alors que le Vatican a reconnu, en février, l’existence d’un document secret, jamais publié, qui fixe les directives à appliquer concernant ceux qu’il appelle les « enfants des ordonnés ». « C’est un document confidentiel, technique et à usage interne de la congrégation pour le clergé [le département du Vatican qui supervise les quelque 400 000 prêtres dans le monde] », précise au Monde Antonio Ammirati, porte-parole du Conseil des conférences épiscopales d’Europe.

Que contient-il exactement ? Contactée, la congrégation pour le clergé se borne à renvoyer vers l’entretien très officiel qu’a donné, en février, son responsable, le cardinal Beniamino Stella, à Vatican News, l’organe de communication du Saint-Siège. Il y explique que le critère principal est « le bien de l’enfant », et que la règle consiste à permettre au prêtre d’abandonner l’état clérical « dans le plus bref délai possible » afin « qu’il puisse se rendre disponible auprès de la mère pour élever sa progéniture ».

Il mentionne toutefois deux exceptions : quand, dans la famille du nouveau-né, « un autre géniteur assume le rôle de père », et « quand il s’agit de prêtres déjà avancés en âge, avec des enfants mûrs, de 20 ou 30 ans ».

Vincent Doyle, un Irlandais à la tête d’un réseau mondial d’enfants de prêtres, Coping International, qui revendique plus de 500 membres, est l’un des rares à avoir lu le fameux document, rédigé en 2009. C’était en octobre 2017, lors d’une rencontre avec Mgr Ivan Jurkovic, observateur permanent du Saint-Siège aux Nations unies (ONU) à Genève. Or ce psychothérapeute et théologien de 35 ans, lui-même fils de prêtre, est formel : « Le document ne suggère, n’implique ou n’indique nulle part que le prêtre doit quitter le sacerdoce après avoir eu un enfant ». Soutenir l’inverse, comme le fait le Vatican, est un « mensonge », assure-t-il.

Un besoin de clarification

Cet aspect est capital, poursuit-il, car « les prêtres ayant un enfant sont confrontés à deux extrêmes : garder le secret ou se retrouver au chômage ». Vincent Doyle réclame donc une « clarification » et presse le Saint-Siège de publier ces directives. En vain. « S’ils ne les diffusent pas c’est qu’ils ont peur », analyse-t-il.

La Conférence des évêques de France assure quant à elle ne pas avoir lu le document ni en avoir copie. « Rome m’a donné des indications claires sur la conduite à avoir dans ces situations, par ailleurs très rares, donc je n’ai pas besoin de ce document », fait valoir le père Ribadeau-Dumas. Les conférences des évêques de tous les pays peuvent pourtant demander à se le procurer : la congrégation pour le clergé, à Rome, sera « plus qu’heureuse de leur en envoyer une copie », indique son sous-secrétaire, Mgr Andrea Ripa, dans un mail du 24 avril adressé à Vincent Doyle et que nous avons pu consulter.

Un envoi généralisé ne serait sans doute pas inutile, tant les responsables ecclésiastiques semblent méconnaître la réponse à apporter dans toutes ses nuances.

Mgr Ribadeau-Dumas affirme ainsi ne pas avoir été informé de la première exception, pourtant mentionnée par le cardinal Stella, concernant les prêtres qui viennent d’avoir un enfant. Si le cas se présente, l’appliquera-t-il ? Visiblement embarrassé, le prélat assure que la position de l’épiscopat français est la même que celle de Rome, tout en refusant de répondre sur ce point, et répète que « seule l’exception concernant les enfants assez âgés pour être autonomes [lui] a été mentionnée ».

Il ajoute avoir appris l’existence du document seulement quelques heures plus tôt grâce… au Monde, qui lui a envoyé le lien vers l’interview du cardinal Stella détaillant les directives. « C’est très bien qu’il y ait un document interne, mais cela ne change pas la position, que je connais, des responsables de la congrégation », ajoute-t-il, agacé.

« On est perçus comme une menace »

Confrontée à une crise sans précédent avec la multiplication des affaires de pédophilie et de viols sur des religieuses, l’Eglise catholique a fini par affronter ces scandales. Elle rechigne pourtant à faire de même avec celui des enfants de prêtres, dont le dialogue tout juste entamé avec les autorités religieuses reste fragile. « On est perçus comme une menace », regrette Anne-Marie Jarzac.

Reconnaître leur existence pourrait en effet remettre en cause le célibat des prêtres. Cette règle, que l’Eglise catholique romaine est la seule religion au monde à appliquer, a été instaurée au Moyen-Age pour éviter la dispersion des biens du clergé lors de l’héritage.

Soucieux de ne pas courir un tel risque, le cardinal Stella a balayé cette possibilité dans son entretien à Vatican News : « Le fait que certains prêtres aient vécu des relations et aient mis au monde des enfants ne remet pas en cause le célibat sacerdotal, qui représente un don précieux pour l’Eglise latine et dont la valeur, toujours actuelle, a été rappelée par les derniers papes, de saint Paul VI jusqu’à François ».

L’Institution redoute aussi que les enfants de prêtre lui réclament un dédommagement financier. Vincent Doyle avance pour sa part une dernière hypothèse pour expliquer ces réticences : « On peut arrêter un pédophile et un violeur, mais on ne peut pas empêcher un homme de faire des enfants ».

Une lettre au pape François

Jusqu’ici, l’Eglise a tout fait pour cacher l’existence de ces milliers d’hommes et de femmes à travers le monde, dont la présence même trahit les entorses à la règle du célibat.

Elle a employé trois méthodes principales : la mutation des prêtres pour les éloigner de leur enfant, les accords de confidentialité imposés aux mères, et les abandons forcés.

Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU avait lui-même donné l’alerte sur le sort des enfants de prêtre, pour la première fois, dans un rapport en 2014. Il se disait « préoccupé » par la situation de ces personnes qui, « dans de nombreux cas, ne connaissent pas l’identité de leur père », dénonçait les accords de confidentialité, et pressait le Vatican d’y mettre fin.

Le Saint-Siège n’a encore jamais eu un mot ni un geste à l’égard de ces enfants cachés de l’Eglise. « On a connu un tel rejet qu’on a besoin de cette reconnaissance », souligne Anne-Marie Jarzac. Elle espère que la lettre qu’elle a rédigée à l’attention du pape François, et que Mgr Ribadeau-Dumas a promis de lui faire parvenir, saura le convaincre de sortir du silence.