Le vice-chancelier autrichien, Heinz-Christian Strache, lors d’une conférence de presse à Vienne, le 23 avril. / LEONHARD FOEGER / REUTERS

Séisme pour l’extrême droite autrichienne à huit jours des élections européennes : le chef du parti autrichien de la Liberté (FPÖ), Heinz-Christian Strache, également numéro deux du gouvernement, a annoncé samedi 18 mai sa démission.

Il a annoncé lors d’une conférence de presse qu’il déléguait la direction du FPÖ à Norbert Hofer, actuel ministre des transports et candidat malheureux de l’extrême droite lors de la présidentielle autrichienne. En revanche, le choix du nouveau vice-chancelier doit être approuvé par le président écologiste Alexander Van der Bellen. Johann Gudenus, un très proche de M. Strache, qui était impliqué dans la vidéo, a aussi quitté ses fonctions politiques.

Le correspondant du Monde à Vienne, Blaise Gauquelin, suit la crise politique en direct :

Une vidéo en caméra cachée

Le vice-chancelier a été emporté par la tourmente suscitée par la mise en ligne, la veille, d’une vidéo sidérante, tournée en juillet 2017 en caméra cachée. On y voit Heinz-Christian Strache, alors encore dans l’opposition, expliquer à une femme se présentant comme la nièce d’un oligarque russe la meilleure façon de financer de manière occulte le FPÖ et de racheter un média autrichien puissant.Ces informations, publiées vendredi soir par les médias allemands Süddeutsche Zeitung et Der Spiegel, extraits vidéo à l’appui, ont sonné le branle-bas de combat au sein de la coalition gouvernementale dirigée par Sebastian Kurz, chef du parti conservateur (ÖVP) allié à l’extrême droite.

M. Strache, né en 1969, est un allié de la première heure de Marine Le Pen et du mouvement de Matteo Salvini en Italie. Il a succédé en 2005 au déjà sulfureux Jörg Haider et a été l’un des principaux artisans du rapprochement entre les nationalistes européens et le Kremlin, avant de devenir la personnalité d’extrême droite ayant réussi à obtenir les plus hautes fonctions au sein d’une démocratie de l’Union européenne, grâce à une coalition avec les démocrates-chrétiens, en décembre 2017. Il a été le premier à se rapprocher de Vladimir Poutine, le soutenant dès 2008, dans le cadre du conflit avec la Géorgie.

Soirée arrosée

C’est notamment sur une entrée de sa pseudo-investisseuse russe au capital du tabloïd Kronen Zeitung (premier tirage du pays), afin d’en faire un titre pro-FPÖ, que porte une partie des discussions qui se sont déroulées durant une soirée arrosée dans une villa de l’île d’Ibiza.

Heinz-Christian Strache, qui est accompagné d’un de ses lieutenants, le russophone Johann Gudenus, actuel chef du groupe parlementaire FPÖ, suggère à son interlocutrice qu’il pourra en échange de ce soutien lui obtenir des marchés publics, au détriment de l’un des fleurons industriels autrichiens, la Strabag. Heinz-Christian Strache rêve de faire renvoyer plusieurs rédacteurs du Kronen Zeitung car « les journalistes sont les plus grandes prostituées de la planète », affirme-t-il dans cette vidéo.

Un coup monté

Le rendez-vous d’Ibiza était en fait un coup monté pour piéger le patron du FPÖ, selon les médias allemands qui affirment ne pas savoir qui est derrière cette opération organisée trois mois avant les législatives.

Le patron du FPÖ a admis auprès des journalistes que cette soirée avait bien eu lieu, mais il a nié avoir commis le moindre acte répréhensible. Il a invoqué « la grande quantité d’alcool consommé » ce soir-là et dénonce de « sales méthodes ».

Selon les extraits publiés, Heinz-Christian Strache décrit aussi à la visiteuse un mécanisme de financement de campagne permettant de contourner la Cour des comptes via des versements à une association et non directement au parti. Il cite des dons allant de 500 000 à 2 millions d’euros et égrène le nom de grands patrons autrichiens qui financeraient le FPÖ.

« Construire un paysage médiatique » comme Orban

Dans cette vidéo, Heinz-Christian Strache dévoile également sa proximité avec l’investisseur viennois Heinrich Pecina, controversé pour avoir racheté des médias hongrois, avant de les revendre à des personnalités proches de Viktor Orban. M. Pecina, estime-t-il, pourrait aider la jeune Russe en rachetant le reste des parts du Kronen Zeitung. « Le mec a repris tous les médias hongrois il y a quinze ans, jubile-t-il. Parce que les Allemands voulaient s’en débarrasser, parce qu’ils étaient en déficit. » Le modèle serait reproductible en Autriche. « Nous voulons construire un paysage médiatique semblable à celui d’Orban », lâche le vice-chancelier, en évoquant également la privatisation possible d’une chaîne nationale. Il nomme alors l’ORF, le grand groupe audiovisuel public que le FPÖ diffame dès qu’il en a l’occasion. En Hongrie, le premier ministre, Viktor Orban, est critiqué pour avoir massivement porté atteinte au pluralisme de la presse.

Et Johann Gudenus d’ajouter : « Le Kronen Zeitung nous ferait du bien à tous. A vous au niveau des affaires, à nous politiquement. » Le futur vice-chancelier autrichien en profite aussi pour demander à la dame de récolter des matériaux compromettants sur la vie privée de ses rivaux politiques et de les dévoiler dans des médias étrangers, afin que le FPÖ ne soit pas soupçonné d’être mouillé dans l’opération.

Le parquet a déjà été saisi et a ouvert une enquête. Quand à la Kronen Zeitung, elle a qualifié « d’attaques » les paroles prononcées sur son compte par M. Strache dans l’intimité de ses vacances au soleil. Et promet de ne « jamais servir que ses lecteurs ».