Créé dans le Paris occupé, la Continental films produira 30 films de L’Assassinat de Père Noël de Christian-Jaque (1941) aux Caves du Majestic de Richard Pottier 1944). / TALWEG PRODUCTION

FRANCE 5 - Dimanche 19 MAI - 22H35. DOCUMENTAIRE

A l’heure où la Riviera célèbre rituellement le 7e art, dont chacun sait désormais que le faux départ du festival français remonte aux premières heures du conflit mondial, il est bienvenu de se pencher sur la situation du cinéma français à l’été 1940, quand tout le milieu est brutalement à l’arrêt, tournages interrompus et studios déserts. C’est une aubaine pour un producteur berlinois, Alfred Greven (1897-1973), camarade d’escadrille de Goering lors de la Grande Guerre et nazi de la première heure, qui va ainsi faire main basse sur une industrie en jachère en créant une société de production française financée par des capitaux allemands et au service des intérêts nazis, la Continental Films.

Pierre-Henri Gibert raconte ainsi l’extravagant épisode (assez bref : 30 films, de L’Assassinat du Père Noël de Christian-Jaque [1941] aux Caves du Majestic de Richard Pottier [1944]), qui, malgré les valeurs prônées tant par les nazis que par Vichy – mais le statut particulier de Greven le soustrait à la censure de l’Etat français –, s’affiche comme un paradoxal petit âge d’or grâce à Decoin, Clouzot et Tourneur notamment (Premier rendez-vous, Les Inconnus dans la maison, L’assassin habite au 21, La Main du Diable, Le Corbeau).

Un autre éclairage sur la légende

Homme d’affaires opportuniste et cinéphile peu encombré d’idéologie, Greven veut les meilleurs (acteurs, techniciens, décorateurs ou scénaristes) sans souci excessif des impératifs propagandistes. Même lorsque Goebbels s’efforce d’impliquer les vedettes lors d’une tournée à Munich, Vienne et Berlin, pour donner l’illusion d’une adhésion au régime nazi, pressions et chantages sont nécessaires pour étoffer les rangs des candidats qui parfois désertent (ainsi Danielle Darrieux, qui n’honore qu’une étape, puisqu’elle n’a accepté que pour pouvoir rejoindre son amant interné dans un camp). Le supplice d’Harry Baur, les sections de résistance au sein de la firme, la survie de l’enseigne – bientôt UGC, dès 1946 –, tout donne un autre éclairage à la légende de la Continental.

Fidèlement adapté du solide travail de Christine Leteux, Continental Films, cinéma français sous contrôle allemand (La Tour verte, 2017), ce documentaire rectifie idées reçues et fables tenaces grâce à une utilisation scrupuleuse des archives (notamment de l’épuration), que peu ont fréquentées.

« La case du siècle : 1940, main basse sur le cinéma français », écrit et réalisé par Pierre-Henri Gibert (Fr., 2019, 52 min). www.france.tv/france-5/la-case-du-siecle