(Cet article ne dévoile pas d’éléments de l’intrigue de la saison 8.)

Extrait de l’épisode du « red wedding » (Noces pourpres). / HBO

Aucune adaptation d’un livre à l’écran ne parvient jamais à contenter tous les fans du roman. Mais c’est peu de dire que Game of Thrones, la série, a réalisé l’un des plus grands écarts de l’histoire des grandes sagas populaires. La faute n’en revient pas totalement aux scénaristes de la série : lorsque le tournage a débuté, George R. R. Martin était censé publier les deux derniers romans de la saga avant que la série ne rattrape les livres. Mais The Winds of Winter et A Dream of Spring ont connu report de publication après report de publication, à tel point que de nombreux fans doutent de les voir un jour publiés. Les scénaristes de la série ont donc poursuivi l’histoire, avec la validation de l’auteur, mais sans disposer de la même trame très détaillée des romans.

Pourtant, la série n’a pas attendu d’avoir dépassé le récit écrit pour s’éloigner drastiquement des romans. Plusieurs personnages-clés de l’histoire meurent dans les livres et poursuivent leur chemin dans la série ; inversement, quelques personnages toujours en vie dans la saison huit ont été enterrés plusieurs milliers de pages avant. Certains personnages qui jouent un rôle important dans les romans ont été purement et simplement supprimés de la version série, quand leur histoire n’a pas été fondue avec celle d’autres personnages. Au total, les sites spécialisés recensent plus d’une centaine de différences importantes, à un degré ou un autre, entre les deux œuvres.

Déplier la fenêtre ci-dessous pour voir les principales différences entre les romans et la série (spoilers pour les livres) :

Une règle simple pour le « canon »

Une même histoire, deux versions passablement différentes : c’est une situation courante dans le monde des comics américains, où il est habituel et admis que des univers différents cohabitent en parallèle, mais rare ailleurs. Laquelle des deux histoires est la « vraie », ce que l’on appelle le « canon » lorsque des récits concurrents existent dans un univers imaginaire ? La question s’était posée avec une certaine acuité après le rachat de LucasFilm par Disney et l’annonce de nouveaux films Star Wars. Parmi les dizaines d’œuvres (jeux, séries, romans, bandes dessinées…) de « l’univers étendu », Disney avait fait un grand ménage pour les classer en fonction de leur degré de « canonité ».

Mais pour George R. R. Martin, le classement est très simple. « Seuls les livres sont canon. Rien n’est canon tant qu’il n’est pas apparu dans les romans », disait-il en 2013 – une affirmation répétée à plusieurs reprises depuis. Les jeux vidéo se déroulant dans l’univers ne sont pas « canon », même s’ils sont officiels ; même les propos de l’auteur en interview ne le sont pas. A fortiori, les séries « spin-off » en cours de développement – cinq projets sont à l’étude, sur lesquelles on ne connaît encore presque rien – ne seront pas considérées comme « canon ».

Cependant, le fait qu’une œuvre ne soit pas « canon » ne lui enlève pas sa légitimité. Sur le site Archive of Our Own, l’un des principaux hébergeurs de fanfictions au monde, les histoires écrites par les fans sont minutieusement rangées dans deux catégories, selon qu’elles se déroulent dans le Westeros de la série ou dans celui des livres – alors que George R. R. Martin s’est toujours dit opposé à la pratique des fanfictions.

Une narration différente

Les différences majeures entre la série et les livres présentent malgré tout un avantage de taille : elles offrent aux personnes qui ont adoré la série mais n’ont pas lu les livres l’occasion de se replonger dans un univers à la fois familier et plein de surprises. Surtout, ces dernières ne se limiteront pas aux changements de nom, aux nouveaux personnages et aux morts qui diffèrent. Comme le résume avec brio la chercheuse américaine Zeynep Tufekci dans Scientific American, c’est aussi une approche globale très différente qui s’offrira aux nouveaux lecteurs et lectrices ayant vu la série.

« La série Game of Thrones était, dans ses meilleurs moments, un récit sociologique », écrit Mme Tufekci. « Cette narration a fonctionné tant que la série suivait les romans de George R. R. Martin, qui s’est spécialisé dans les personnages qui évoluent en fonction d’un contexte global, des normes et des incitations qui les entourent. » Sans l’appui des romans, la série a évolué vers « ce que Hollywood sait faire : un récit dominé par les ressorts individuels et psychologiques ». Que les fans déçus par la dernière saison de la série se rassurent : rien de tout cela n’est canon, et il est possible de retrouver le Game of Thrones des débuts… dans les livres.