Ira Sachs, le 15 septembre 2014, à Paris. / Frédéric Stucin/Pasco

A 53 ans, Ira Sachs est le doyen de la cohorte de nouveaux venus qui fait ses débuts dans la course à la Palme d’or, en cette 72e édition. Sudiste – il a grandi à Memphis, Tennessee –, Ira Sachs passait ses vacances d’hiver à Park City, dans l’Utah, où son père s’était installé dans un mobile home. Le garçon détestait le ski, ce n’était pas grave, ces séjours montagnards coïncidaient avec le Festival du film de Sundance, et Ira Sachs passait son temps dans les salles plutôt que sur les cimes.

Regard bienveillant

C’est à Sundance qu’il présente son deuxième court-métrage, Lady, en 1995, en complément de programme d’une restauration de Poor Little Rich Girl, d’Andy Warhol. C’est le moment où le cinéma queer commence à trouver sa place sur la scène indépendante américaine et, deux ans plus tard, The Delta, le premier long-métrage du réalisateur, est présenté à Park City, après avoir été sélectionné à Toronto. Tourné à Memphis, le film met en scène la rencontre entre un adolescent très américain et le fils d’un GI afro-américain et d’une Vietnamienne. Distribué aux Etats-Unis, resté inédit en France, The Delta divise la critique, et Ira Sachs mettra sept ans à réaliser son deuxième long, Forty Shades of Blue, qui remporte le Grand Prix à Sundance en 2005, avant de conquérir la Berlinale.

Pour faire le portrait d’un producteur de rhythm’n’blues vieillissant (il s’est inspiré de son père), Ira Sachs a fait appel à l’acteur Rip Torn, qu’Hollywood cantonne depuis des décennies dans les seconds rôles, démontrant que le comédien est l’égal d’un Nicholson ou d’un Hoffman. Ce qui ne suffit pas à résumer le film, qui explore la relation entre le vieil homme et sa compagne, une jeune femme immigrée de Russie (Dina Korzun), un personnage qui trouve toute sa place sous le regard bienveillant et attentif du cinéaste.

Chronique des tribus new-yorkaises

Ce succès attire un moment Ira Sachs dans l’orbite du star-system, mais Married Life (2007), comédie noire avec Pierce Brosnan et Rachel McAdams, est un échec. Le réalisateur est alors forcé de laisser passer cinq ans avant de réaliser Keep the Lights On, récit semi-autobiographique d’une liaison destructrice entre un jeune cinéaste et un avocat qui se refuse à faire son coming out.

Deux ans plus tard, John Lithgow et Alfred Molina incarnent, dans Love Is Strange, un vieux couple new-yorkais dont la vie est bouleversée par l’intolérance de l’employeur du second, qui enseigne dans une école catholique, et par la spéculation immobilière à Manhattan. Là encore, le film ne s’arrête pas à ses deux têtes d’affiche, offrant à Marisa Tomei un magnifique second rôle. Ira Sachs, qui vit à Manhattan avec son mari, leurs deux enfants et la mère de ces derniers, n’en avait pas fini avec la chronique des tribus new-yorkaises : en 2016, Brooklyn Village transporte quelques-uns des thèmes de Love Is Strange de l’autre côté de l’East River, en adoptant le point de vue de deux jeunes garçons.

Et c’est grâce à un voyage transatlantique qu’Ira Sachs a gagné son billet pour Cannes : Frankie met en scène la réunion, à Sintra, au Portugal, d’une famille composite (on y reconnaîtra Brendan Gleeson, Jérémie Renier, Marisa Tomei, Pascal Greggory) autour d’une actrice fameuse et fragile, qui a les traits d’Isabelle Huppert.