Cristina Kirchner, le 9 mai 2019 à Buenos Aires. / Agustin Marcarian / REUTERS

Les coups de théâtre se succèdent à Buenos Aires, bouleversant le panorama politique à cinq mois de la présidentielle du 27 octobre. Pour la première fois, mardi 21 mai, l’ancienne présidente péroniste Cristina Fernandez de Kirchner (2007-2015), âgée de 66 ans, sera sur le banc des accusés pour l’une des onze affaires de corruption dans lesquelles elle a été mise en examen. Mais trois jours avant le début de ce premier procès pour malversations, elle a détourné l’attention médiatique de sa saga judiciaire en annonçant, à la surprise générale, qu’elle ne briguerait que la vice-présidence lors du scrutin de cet automne.

Depuis des mois, on s’attendait à ce qu’elle soit de nouveau candidate à la présidence, confortée par les sondages qui la donnaient favorite face au sortant de centre droit, Mauricio Macri, qui visera sa réélection. La présentation en grande pompe, le 9 mai, de son livre, Sinceramente – plus de 200 000 exemplaires vendus en trois semaines – avait été interprétée comme le lancement de sa campagne.

De façon tout aussi surprenante et insolite, c’est elle, en tant que prétendante à la vice-présidence, qui a désigné le candidat à la présidence. Dans une vidéo de treize minutes postée, le 18 mai, sur les réseaux sociaux, Mme Kirchner a demandé à Alberto Fernandez, un avocat de 60 ans, d’être celui qui affrontera M. Macri : « J’ai demandé à Alberto Fernandez de prendre la tête du ticket que nous formerons, lui comme candidat à la présidence et moi comme candidate à la vice-présidence lors des primaires [du 11 août]. » Fernandez étant le nom de jeune fille de Cristina Kirchner, c’est une formule « Fernandez-Fernandez » qui se profile.

« Revenir au passé serait autodestructeur »

Alberto Fernandez a été chef du gouvernement de l’ancien président Nestor Kirchner (2003-2007, décédé en 2010), puis de son épouse Cristina Fernandez-Kirchner jusqu’en 2008. Il avait alors démissionné en critiquant durement les positions radicales de cette dernière. Il s’est présenté une seule fois à une élection : en 2000, il a été élu député sur une liste conduite par Domingo Cavallo, pourtant battu alors qu’il briguait la mairie de Buenos Aires. M. Cavallo a été ministre de l’économie de l’ex-président péroniste Carlos Menem (1989-1999), puis de l’ex-président radical Fernando de la Rua, de mars 2001 jusqu’au dramatique effondrement financier de décembre 2001.

Le candidat à la présidence a choisi de commencer sa campagne, lundi 20 mai, à Santa Cruz, dont la gouverneure est Alicia Kirchner, la sœur de l’ex-président défunt. « Je ne serai pas une marionnette de Cristina », a-t-il affirmé. « Revenir au passé serait autodestructeur. Nous sommes sur le bon chemin », a réagi le président Macri, dont la cote de popularité dévisse dans un contexte de grave crise politique économique et sociale.

La stratégie de Mme Kirchner de se mettre en retrait derrière Alberto Fernandez vise à rassurer le monde des affaires et les marchés internationaux. L’objectif est également d’élargir sa base électorale, qui plafonne entre 30 % et 35 % d’opinions positives, alors que la figure de Mme Kirchner continue à susciter le rejet d’une large frange de l’électorat. Sans charisme mais considéré comme un péroniste modéré et un habile opérateur politique, M. Fernandez est susceptible de rassembler au-delà des électeurs traditionnels de Mme Kirchner, jusqu’aux péronistes anti-kirchnéristes.

Mauricio Macri perd l’un de ses principaux atouts

Plus consensuelle, la formule « Fernandez-Fernandez » semble avoir des chances de l’emporter lors des primaires de l’été, obligatoires pour tous les partis. Neuf des vingt-trois gouverneurs que compte le pays se sont déjà ralliés au nouveau ticket et plusieurs ténors du Parti justicialiste (PJ, centre gauche), affaibli par des divisions internes, ont abandonné la course à la présidence. Reste à savoir quel sera le rôle de Sergio Massa, péroniste modéré à la tête du Front rénovateur, qui succéda à Alberto Fernandez comme chef de cabinet de Cristina Kirchner. « Je suis candidat à la présidence, plus que jamais » a-t-il déclaré, le 20 mai, tout en se montrant partisan d’une grande coalition d’unité péroniste pour battre M. Macri. Il devra donc se confronter à M. Fernandez au cours des primaires.

De son côté, M. Macri a perdu l’un de ses principaux atouts qui consistait à présenter Cristina Kirchner comme un épouvantail s’il était candidate à la présidence. Il pourrait décider de réviser son plan de bataille en cherchant de nouveaux appuis auprès des radicaux et jusqu’aux péronistes anti-kirchnéristes.

Protégée par l’immunité parlementaire

Mardi, à l’ouverture d’un procès qui a menacé d’être repoussé à plusieurs reprises, Cristina Kirchner devra répondre s’il est certain que pendant ses deux mandats présidentiels, elle a octroyé des contrats de travaux publics de plusieurs millions au bénéfice de Lazaro Baez, un simple employé de banque de la province de Santa Cruz, fief politique des Kirchner en Patagonie, qui s’est converti en richissime chef d’entreprise du BTP. Durant les douze ans de gouvernements Kirchner, l’entreprise Austral Constructions a reçu, selon la justice, 52 contrats d’une valeur de plus d’un milliard de dollars. Mme Kirchner a toujours nié ces accusations, affirmant que M. Baez ne figurait pas parmi les plus importants entrepreneurs ayant obtenu des contrats de travaux publics avec l’Etat.

L’ex-présidente partagera le banc des accusés avec trois autres personnages clés du kirchnérisme qui sont déjà en prison : Lazaro Baez, Julio de Vido, ancien ministre de la planification, sous les verrous depuis octobre 2017, après s’être vu retirer son immunité de député, et son vice-ministre José Lopez, arrêté de façon rocambolesque en juin 2016, alors qu’il tentait de cacher 9 millions de dollars en liquide dans un couvent près de Buenos Aires. Les juges écouteront les défenseurs de douze autres accusés et la version de cent trente-huit témoins.

Aujourd’hui sénatrice, l’ex-présidente est protégée par l’immunité parlementaire, qui la met à l’abri d’une détention préventive. Le Sénat, où les péronistes détiennent la majorité, se refuse à lui ôter totalement son immunité tant qu’il n’y aura pas une condamnation ferme de la Cour suprême, ce qui peut durer plusieurs années. D’autant plus que si Cristina Kirchner est élue à la vice-présidence de l’Argentine, elle deviendra également présidente du Sénat.