« Qui n’est pas raciste, ici ? » de Akli Tadjer.

Le livre. A la rentrée scolaire, une professeure de français d’un lycée picard se trouve confrontée à une fronde inédite lorsqu’elle présente le livre qu’elle compte faire étudier à sa classe de terminale. Troisième roman d’Akli Tadjer, Le Porteur de cartable (JC Lattès, 2002) raconte la naissance d’une amitié indéfectible entre Omar et Raphaël, deux gamins que tout oppose dans la France de 1962, déchirée par les conséquences du conflit algérien. C’est inacceptable pour certains élèves qui dénigrent en bloc l’auteur, qui n’est pas français, l’intrigue, qui ne concerne pas la France, et le vocabulaire employé, noms propres et noms communs arabes pareillement rejetés…

Pour terrible qu’elle soit, l’anecdote aurait pu s’effacer des mémoires sans susciter l’analyse qu’elle mérite pourtant. Imaginez le désarroi, pis, la colère de l’écrivain – il se dit même « choqué, blessé et rendu furieux » – quand il apprend que la rencontre scolaire prévue est compromise. Accusant le coup sous l’insulte faite à l’engagement de sa vie, Akli Tadjer rend publics sur les réseaux sociaux le propos délictueux, puisque le racisme est un délit, et non une opinion, et entend relever le défi en visitant dans leur lycée ces adolescents presque majeurs qui refusent l’altérité aussi radicalement que le débat.

Lui qui « écri[t] parce qu[’il] porte en [lui] des soleils tourmentés, des bruits de guerre et des feux mal éteints » a donc fait le voyage à Péronne, dans la Somme, et frontalement apostrophé ceux qui ne craignent pas d’assumer le rejet virulent de l’autre. De cette rencontre, le vendredi 16 novembre 2018, Akli Tadjer propose un récit d’une formidable intensité. Sa réponse en quelque sorte à une agression qu’il n’imaginait pas, mais qui lui a permis de redéfinir sa mission, son engagement, sa voie propre.

L’écrivain franco-algérien Akli Tadjer face aux lycéens refusant de lire sa prose
Durée : 02:04

Avec une science de la dramaturgie consommée, il rapporte les silences pesants, les regards qui fuient ou défient, les paradoxes qui se dévoilent quand on est prêt à vivre ailleurs sans réaliser qu’on devient alors un de ces émigrés qui effraient, les propos qui hésitent à faire le show, qu’une vigilance aiguë permet seule de contenir. Mais le plus précieux tient à la façon dont, dans les interstices d’un dialogue haché, l’écrivain franco-algérien se confie. Sur cette double identité qui fut une douleur avant, une fois apaisée, de devenir sa force ; sur les nuits sans sommeil et sans rêve (« il est vrai que j’avais l’ennui facile ») jusqu’à ce que Jules Verne l’invite aux voyages, promesse sans cesse renouvelée depuis, grâce à la littérature ; sur la fonction sociale de l’écrivain et ce devoir comme cet honneur qu’il y a à rencontrer les élèves.

Quoi qu’il advienne. « Je sais que j’ai besoin d’eux pour comprendre le monde de demain », conclut-il, mais, plus visionnaire, il ajoute : « C’est de l’addition de nos antagonismes que naîtra la beauté. » Un credo dans la langue et la franchise qui mériterait de désarmer la bêtise.

« Qui n’est pas raciste, ici ? » de Akli Tadjer.

« Qui n’est pas raciste, ici ? » de Akli Tadjer. JC Lattès, 60 pages, 6,90 euros.