Julian Assange à sa sortie du tribunal à Londres, le 1er mai. / Matt Dunham / AP

La justice américaine a inculpé jeudi 23 mai le fondateur de Wikileaks, Julian Assange en vertu des lois anti-espionnage, s’attirant immédiatement les foudres des défenseurs de la liberté de la presse.

Les Etats-Unis accusent cet homme âgé de 47 ans, détenu à Londres et visé par une procédure d’extradition, d’avoir « comploté » avec l’ex-analyste militaire Chelsea Manning, à l’origine de la publication en 2010 par Wikileaks, d’une somme colossale de documents militaires et diplomatiques.

Julian Assange est soupçonné d’avoir « aidé » et « incité » le soldat Manning « à obtenir des informations confidentielles en sachant qu’elles pouvaient être utilisées au détriment des Etats-Unis et à l’avantage d’une nation étrangère », a déclaré le ministère de la Justice, en révélant 17 nouveaux chefs d’inculpation.

Les Etats-Unis reprochent également à l’Australien d’avoir mis en danger certaines de leurs sources en dévoilant leur identité lors de cette fuite sans précédent, parmi lesquelles des journalistes, chefs religieux, opposants politiques et défenseurs des droits de l’homme... Selon des représentants des autorités américaines, le département d’Etat avait demandé à Assange de ne pas révéler l’identité de ces sources mais WikiLeaks avait ignoré l’avertissement.

« De la folie »

« C’est de la folie », a instantanément réagi l’organisation Wikileaks sur Twitter. « C’est la fin du journalisme sur les sujets de sécurité nationale et la fin du premier amendement » de la Constitution américaine qui garantit la liberté d’expression, a-t-elle ajouté. Cette inculpation « pose une menace directe à la liberté de la presse et au journalisme d’investigation », a renchéri Reporters sans frontières (RSF), tandis que l’organisation Freedom of the Press évoquait « un grand danger pour les journalistes ».

« Le ministère prend au sérieux le rôle des journalistes dans notre démocratie, mais Julian Assange n’est pas un journaliste », a rétorqué lors d’une conférence de presse John Demers, responsable des questions de sécurité nationale au ministère de la Justice. « Aucun journaliste responsable ne publierait sciemment les noms de sources confidentielles en zones de guerre, sachant que cela les exposerait au plus grand danger », a-t-il justifié.

Suite à une demande d’extradition formulée par les Etats-Unis, Julian Assange a été interpellé le 11 avril à l’ambassade d’Equateur à Londres où la justice l’a condamné au début du mois à une peine de prison de 50 semaines pour avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté conditionnelle. Il s’y était réfugié en 2012, en partie pour fuir la justice américaine après la publication par Wikileaks de 250 000 câbles diplomatiques et d’environ 500 000 documents confidentiels portant sur les activités de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan.

Cette fuite sans précédent avait été saluée par certains Américains, qui avaient notamment loué la dénonciation de bavures militaires. Mais les autorités, dénonçant déjà une grave mise en danger des agents de terrain, avaient immédiatement lancé une enquête. La justice avait toutefois avancé avec prudence, consciente d’être sur une ligne de crête.

Egalement poursuivi pour viol en Suède

Pendant la campagne électorale de 2016, Julian Assange s’était aliéné d’autres Américains en publiant des emails volés par des hackeurs russes à la campagne de la démocrate Hillary Clinton. En 2017, Wikileaks avait publié des documents compromettants pour la CIA, suscitant la colère de son chef Mike Pompeo (devenu depuis secrétaire d’Etat). « C’est un service de renseignement non étatique hostile », avait-il lancé. En 2018, un grand jury avait finalement inculpé Julian Assange dans le plus grand secret pour association de malfaiteurs en vue de réaliser un « piratage informatique », une peine passible de cinq ans de prison.

Concrètement, les Etats-Unis lui reprochaient seulement d’avoir proposé à Chelsea Manning de l’aider à obtenir un mot de passe du ministère de la Défense. Mais le grand jury ne s’est pas arrêté là. En mars 2019, il a convoqué Chelsea Manning, libérée après sept ans de prison, pour l’interroger sur Julian Assange.

L’ancien soldat Bradley Manning, devenu femme lors de sa détention, a refusé de répondre, critiquant une procédure « opaque » et peu démocratique. Accusée « d’entrave » au bon fonctionnement de la justice, cette icône des personnes transgenres a été renvoyée derrière les barreaux.

Le grand jury ayant atteint la fin de son mandat, un nouveau collectif de citoyens a été tiré au sort pour poursuivre l’enquête. C’est lui qui vient de procéder aux nouvelles inculpations. Les nouveaux chefs d’accusation peuvent entraîner des peines de dix ans de prison chacun.

Par ailleurs, la justice suédoise a rouvert des poursuites pour viol à l’encontre de Julian Assange, qui nie toute agression.