Elle arbore une couronne de fleurs sur la tête, le signe « peace and love » peint en vert sur la joue et un grand sourire. Fiorella Berdon, 23 ans, est à l’image de la mobilisation des jeunes pour le climat, vendredi 24 mai, à Paris : joviale et bon enfant, malgré la gravité de la situation. Armée de sa pancarte « Dunkerque sous l’eau, ce s’ra pas rigolo », elle est venue de la cité nordiste pour rappeler aux dirigeants l’urgence écologique et climatique : « Les scientifiques nous l’ont dit : on n’a plus que dix ans pour agir. »

Comme elle, 14 800 étudiants, lycéens et collégiens, selon le cabinet de comptage indépendant Occurrence, et 27 000 manifestants, selon les organisateurs, ont défilé dans les rues de la capitale pour la deuxième grève scolaire internationale pour le climat. Ils étaient également 3 000 à Lyon et à Montpellier, selon les organisateurs, 2 600 manifestants à Nantes d’après la police ou encore un millier à Tours. Une mobilisation beaucoup plus faible que celle du 15 mars, qui avait réuni 180 000 grévistes dans le pays et près de 1,8 million dans le monde. Un résultat en demi-teinte pour une manifestation qui, à l’avant-veille du scrutin européen du 26 mai, avait pour but de transformer les « élections européennes en des élections climatiques ».

« L’existence précède l’essence »

Sous un grand soleil, c’est un cortège jeune, et très féminin, qui s’est élancé de la place de l’Opéra pour rejoindre celle de la République, où un concert a été organisé en fin d’après-midi. Sur leurs pancartes et dans leurs slogans, les manifestants ont travaillé leur anglais, « People/Power, Climate/Justice », « Global Warning », ou plus sobrement « Help ! », leur philo, « L’existence précède l’essence » ou « On a besoin d’une terre happy », le cinéma, « Pas de climat, pas de chocolat » et bien sûr les maths, avec le classique des manifs, « et 1, et 2, et 3 degrés, c’est un crime contre l’humanité ».

« On est là pour notre avenir, mais aussi celui d’autres pays moins développés dont les habitants seront obligés de migrer en raison du dérèglement climatique ou bien ne survivront pas, indique Leïna Bouhassoun-Sebert, en seconde à Sceaux (Hauts-de-Seine). La planète peut vivre sans nous, mais nous ne pouvons vivre sans elle. »

Une urgence ressentie jusqu’aux plus jeunes. Comme Chloé, Irène et Aylin, âgées de 10 et 11 ans, qui tiennent à bout de bras une banderole plus grande qu’elles. « On en a marre des adultes qui nous lèguent une planète polluée mais ne font rien pour changer. » A l’inverse, elles ont décidé d’agir. Dans leur école du quartier de Belleville, à Paris, elles ont créé un club pour ramasser et recycler des déchets et ont lancé une pétition afin de supprimer le plastique dans leur cantine.

Nombreux sont les grévistes à évoquer les gestes qu’ils effectuent au quotidien pour protéger l’environnement. Anaé, Apolline, Marie et Jeanne, élèves de 12 ans au conservatoire de danse, sortent leurs gourdes de leur sac et énumèrent le tri sélectif, les douches au lieu des bains, les achats d’habits en friperie. « Ma petite-fille a même calculé mon empreinte carbone », glisse avec fierté Béatrice, la grand-mère qui les accompagne.

Pourtant, les bouteilles en plastique sont encore visibles ici et là dans les rangs des manifestants. « Il y a de l’hypocrisie dans le mouvement. Plein de jeunes manifestent ici avant d’aller au McDo ou d’acheter des habits chez H&M, symbole de la fast-fashion », déplore Clara, lycéenne de 16 ans à Paris. « On dit que le problème vient des politiques et des industries, mais si tout le monde arrêtait de consommer, on changerait la donne », lâche sa copine Isis.

Radicalisation du discours

De fait, depuis les premières grèves hebdomadaires de février en France, une partie des jeunes a radicalisé son discours. De plus en plus nombreux sont ceux, jeunes ou moins jeunes, qui pensent qu’il faut accélérer et durcir la mobilisation. Ceux-là se tournent vers les actions de désobéissance civile, blocages et occupations de sièges de grandes compagnies, bancaires, pétrolières, qu’ils accusent de polluer la planète. Les slogans entendus ou vus dans le cortège parisien traduisent cette évolution. Et restent teintées d’humour : « Sauvons les ours polaires, pas les actionnaires », « Plus de pingouins sur la banquise, moins de manchots à l’Elysée »…

Quelques heures avant le départ de la manifestation, 135 jeunes sont passés aux travaux pratiques, en envahissant la mairie du 19e arrondissement de Paris. Ils ont alors décroché le portrait officiel d’Emmanuel Macron – la 40e action de ce type au niveau national – pour dénoncer l’inaction du chef de l’Etat et du gouvernement sur le front climatique et environnemental. La campagne menée par ANV-COP21 (Action non violente-COP21) doit conduire à la confiscation de 125 portraits présidentiels, avant le G7 qui se tiendra à Biarritz du 24 au 26 août. Cent vingt-cinq comme le nombre de jours qui ont été nécessaires à la France pour dépasser son empreinte écologique.

La photo subtilisée dans la mairie parisienne a ensuite rejoint le cortège pour y défiler en tête, sous les applaudissements des jeunes qui s’en sont souvent pris, dans leurs slogans, au chef de l’Etat et au gouvernement.

Manon Aubry ou Yannick Jadot

Pourtant, si leur mouvement s’avère politique par essence, les jeunes mobilisés restent sceptiques quant à son impact sur les élections. « J’ai essayé d’influencer mes parents en leur demandant de voter pour un parti qui prenne en compte le changement climatique, mais ils m’ont répondu qu’ils n’avaient pas de chance d’être élus », regrette Gaïa, élève de 1re à Amiens. Pour Sam et Maxence, en première à Paris, l’écologie peine à peser car elle apparaît comme un « truc de bobo » et est « plus abstraite que le pouvoir d’achat ». « Mais ceux qui galèrent aujourd’hui à acheter à manger seront bientôt les mêmes à cause du climat », assurent-ils.

Dimanche, pour l’élection européenne, Solène Heredia, 19 ans, étudiante en économie à Dauphine, ira voter « pour les plus radicaux sur le terrain de l’écologie ». Ce qui donne, pour beaucoup de jeunes à qui la question a été posée, un choix entre la liste de Manon Aubry (La France insoumise) ou celle de Yannick Jadot (Europe écologie-Les Verts). « Je suis anticapitaliste mais surtout contre le système productiviste. J’irai voter mais il faut aussi multiplier les actions de désobéissance civile », assure la jeune fille.

Tout l’enjeu sera par la suite de savoir comment durer, alors que le mouvement s’est essoufflé ces dernières semaines, particulièrement dans l’Hexagone. Deux nouvelles grèves climatiques « intergénérationnelles » sont d’ores et déjà prévues le 21 juin à Aix-la-Chapelle et le 27 septembre à New York. Pour Jeanne, lycéenne, « il faut continuer le mouvement dans la vie quotidienne, pour qu’il ne s’arrête pas aux marches mais devienne une façon de vivre ».