A Düsseldorf, le 22 mai. / INA FASSBENDER / AFP

Les Européens se rendent aux urnes du 23 au 26 mai pour élire leurs eurodéputés. Sur l’impact du Brexit, le rapport de force dans la future assemblée ou encore la succession du président de la Commission, la correspondante du Monde à Bruxelles, Cécile Ducourtieux, a répondu aux internautes dans un tchat.

Aria : Bonjour, admettons que les populistes européens remportent largement ces élections. Que pourront-ils faire, la majorité de ces populistes voulant quitter l’Europe ? Se tirent-ils une balle dans le pied ?

Cécile Ducourtieux : Bonjour ! pour l’instant, les projections de vote, au mieux, mettent les eurosceptiques à presque 30 % des sièges dans l’hémicycle. C’est considérable, mais la nouveauté, par rapport aux élections de 2014 où ils étaient rentrés en force, c’est que presque plus aucun de ces partis ne prône une sortie de l’Union européenne.

Seront-ils en mesure de bloquer la machine législative ? Il faudrait d’abord qu’ils parviennent à se rassembler, ce qui n’a rien d’évident pour des formations très nationalistes. Sur la migration ou les relations avec la Russie, il y a peu d’atomes crochus entre la Ligue de Matteo Salvini en Italie et le PiS des utraconservateurs polonais. Et il est plus que probable que les partis « pro-européens » – conservateurs, libéraux, sociaux-démocrates – vont finir par s’entendre pour les écarter au maximum des principaux postes de pouvoir de l’assemblée.

Europesis : Quel sera l’impact des résultats sur la capacité d’Emmanuel Macron à faire avancer son agenda en Europe ?

Si la liste Renaissance conduite par Nathalie Loiseau arrive derrière le Rassemblement national de Marine Le Pen, ce sera un coup dur pour le président français à Bruxelles. Au Conseil européen (les Etats membres), cette défaite face à l’extrême droite limiterait sa capacité d’entraînement alors qu’il va devoir nouer des alliances avec les autres dirigeants souhaitant rééquilibrer le rapport de force en Europe, jusqu’à présent très en faveur des conservateurs du Parti populaire européen (PPE), dominé par les Allemands.

Dans l’hypothèse où Renaissance parviendrait à envoyer une vingtaine d’élus au Parlement, la déconvenue devrait être moins conséquente : ces Français pourraient revendiquer le contrôle du groupe des libéraux européens (ALDE), et se retrouver en position d’arbitre pour la constitution d’une majorité pro-européenne face aux extrêmes.

Jeremy : La constitution des groupes parlementaires après cette élection est floue. Quelles alliances se profilent ?

Question difficile ! La dynamique des alliances ne commencera à s’esquisser qu’au lendemain des résultats définitifs, le 27 mai. Seule certitude : la droite classique du PPE, les libéraux d’ALDE, les Verts et les sociaux-démocrates vont devoir s’entendre pour faire barrage aux extrêmes. Car tout le monde s’attend à ce qu’à eux deux, le PPE et les socialistes perdent la majorité absolue qu’ils détenaient jusqu’alors dans l’hémicycle.

Un compromis PPE-socialistes-libéraux suffira-t-il à atteindre cette majorité ? Faudra-t-il intégrer les Verts, et dès lors accepter d’élever les ambitions climatiques des programmes – surtout côté PPE ? Les discussions ne commenceront que lundi.

K. : Une percée des Verts, en France et en Europe, est-elle envisageable ?

Au niveau européen, les projections donnent aux Verts une soixantaine de sièges. Si cela se confirme dimanche soir, on ne peut pas parler d’une percée. En revanche, si le PPE et les sociaux-démocrates sortent très affaiblis, les Verts seront incontournables pour former une coalition stable pro-européenne dans l’hémicycle, et ils peaufinent déjà leurs exigences.

Elles sont avant tout programmatiques (ils réclameront aussi des postes, bien sûr) : décarboner plus vite les économies, révision des accords de libre-échange, taxe carbone aux frontières, banques climatiques… Ils pourraient obtenir l’inscription de ces réformes dans un programme à cinq ans de la Commission européenne.

ALxTlse : Le résultat des élections aura-t-il une influence sur la nomination du remplaçant de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission ?

La question passionne à Bruxelles, un peu moins ailleurs. Le traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, instaure un peu de « politique » dans la nomination du président ou de la présidente de la Commission, poste considéré comme le plus stratégique dans l’UE avec la présidence de la Banque centrale. Les textes disent que les dirigeants doivent désigner le président de la Commission « en tenant compte » des résultats des élections.

Au Parlement, les groupes politiques font pression pour une lecture extensive du traité et sont parvenus à imposer, en 2014, que ce poste soit dévolu à un de leurs chefs de file pour les élections. M. Juncker a récupéré la présidence car il était le champion du PPE. Les dirigeants, spécialement Angela Merkel, ont accepté ce compromis même s’ils ont rechigné à perdre une partie de leurs prérogatives.

Cette année, la partie entre les Etats membres réunis au Conseil et le Parlement s’annonce plus serrée. Au Conseil, le PPE et les sociaux-démocrates comptent bien mettre en avant leurs champions, respectivement Manfred Weber et Frans Timmermans. Mais au Conseil, Emmanuel Macron refuse de se faire imposer la tête de liste du parti arrivé en tête aux élections – probablement le bavarois Weber.

Phil : Michel Barnier peut-il devenir le futur président de la Commission ?

Emmanuel Macron, dans un entretien avec le quotidien belge Le Soir, mercredi 22 mai, a cité M. Barnier, négociateur en chef du Brexit pour l’Union, comme un « homme qui a de grandes qualités (…), il fait donc partie des dirigeants européens qui peuvent faire partie de cette liste » des candidats à la présidence de la Commission. Il est encarté chez Les Républicains, et fait donc partie de la famille PPE. Il a un profil plutôt consensuel, compatible même avec les Verts, qui apprécient son intérêt pour les questions environnementales.

Problème : le champion du PPE s’appelle Manfred Weber, il est allemand, et dispose du soutien de la nouvelle patronne de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer. Si les chances de M. Weber sont réduites à néant à cause d’une coalition menée par Emmanuel Macron, il faut s’attendre à ce que M. Barnier en fasse les frais à Bruxelles, au motif que les Allemands ne voudront pas d’un Français après s’être vu refuser un Allemand !

Melanie : Quels sont les enjeux du vote européen en Grande-Bretagne ?

Pour ceux qui ont pu voter jeudi 23 mai – malgré les nombreux bugs liés à une préparation dans la précipitation –, ce vote a pris la forme d’un scrutin pour ou contre le Brexit. D’où, à en croire les sondages (les résultats définitifs ne seront sus que dimanche 26 mai au soir), les gains considérables pour Nigel Farage et son Parti du Brexit. Ceux qui veulent encore du Brexit ont voté pour lui aux dépens des conservateurs.

A contrario, les partisans du maintien du Royaume-Uni dans l’UE semblent avoir voté pour les libéraux-démocrates plutôt que pour les travaillistes, restés ambigus sur la question d’un deuxième référendum.

El greg : Les élus britanniques auront-ils les mêmes prérogatives que les autres, et notamment le vote du budget ? Seront-ils renvoyés du Parlement européen après le Brexit ?

Si on s’en tient aux traités, les élus britanniques doivent être considérés en tant que citoyens d’un Etat membre, avec exactement les mêmes prérogatives que les autres élus. Un élu travailliste affilié aux sociaux-démocrates, si ces derniers enregistrent de bons scores, et si lui-même ou elle-même a de fortes ambitions et des compétences, pourra très bien se proposer pour présider une commission parlementaire ou prendre d’autres responsabilités dans l’hémicycle. Mais il est probable, dans le contexte d’un possible Brexit le 31 octobre, que les eurodéputés britanniques préféreront faire profil bas.

Si le Brexit intervient effectivement, il est très probable que les eurodéputés britanniques vont devoir rendre leurs sièges. Une partie d’entre eux seront réalloués aux Etats membres (la France pourrait en récupérer 5 et le total de ses élus passer de 74 à 79).