Le 5 mai 2019, Loïc Rémy a marqué, pour Lille, le but de l’égalisation (1-1) contre l’Olympique lyonnais, match qui s’est conclu sur le score de 2-2. / EMMANUEL FOUDROT / REUTERS

Il s’est longtemps fait désirer, mais l’homme a le sens du timing et de l’esthétisme. En ce samedi 12 mai, Lille reçoit Bordeaux avec un grand objectif : décrocher la victoire qui validerait sa deuxième place en championnat de Ligue 1, et donc la qualification pour la prochaine Ligue des champions de football. Alors qu’on approche la demi-heure de jeu, son meneur, Jonathan Ikoné, s’élance pour tirer un coup franc à vingt-cinq mètres du but adverse. La suite est une inspiration : petit ballon piqué par-dessus le mur bordelais, reprise de volée de Loïc Rémy.

L’attaquant lillois sera le seul à trouver le chemin des filets ce soir-là. Huit jours plus tard, son but est élu le plus beau de la saison aux trophées de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP).

Si la saison des Dogues a tout du conte de fée, Loïc Rémy n’en a jamais vraiment été le héros. Arrivé à l’été 2018 avec un CV (30 sélections en équipe de France), de l’expérience (32 ans) et des ambitions (« Je vais avoir un rôle majeur dans cette équipe », avait-il lancé lors de sa présentation), il a d’abord suscité le scepticisme, voire l’incompréhension.

Frustrée par un problème administratif, qui empêcha Lille d’homologuer son contrat lors des deux premières journées de championnat, la recrue a voulu se mettre en confiance de la façon dont le font tous les attaquants : en marquant. Alors, pour sa première titularisation, le 1er septembre 2018 à Angers, il n’a pas hésité à prendre le ballon des mains de Nicolas Pépé, tireur désigné, pour tenter le penalty de l’égalisation – « pour se mettre en confiance », dira-t-il ensuite.

Verdict ? Grosse colère de son partenaire, tentative ratée et sortie du terrain trois minutes plus tard. Lors de la journée suivante, Pépé inscrira trois buts, dont deux sur penalty, Rémy n’entrant que dans les arrêts de jeu.

Spirale négative et hiérarchie en attaque figée

Rendue anecdotique par les bons résultats de Lille, la péripétie porte tous les symboles de la saison du nouveau venu, volontaire mais souvent à contretemps. Une spirale négative, en décalage avec le reste des joueurs offensifs et qu’un excellent match face à Lyon début décembre 2018 ne stoppe pas. Opposé à son club formateur, l’attaquant est buteur puis passeur décisif. Son entraîneur Christophe Galtier y voit « un signal très fort envoyé à ses partenaires »

Mais Rémy n’enchaîne pas et Rafael Leao, treize ans plus jeune, le remplace avantageusement. Insouciant, le Portugais fait tout mieux et plus vite. Au cœur de l’hiver, il marque surtout des buts importants qui figent la hiérarchie en attaque.

C’est là que l’histoire aurait pu basculer. Car Galatasaray, qui cherche un attaquant, contacte directement le joueur au mercato de janvier. L’intéressé refuse, redouble d’efforts à l’entraînement. « En voyant la séance du lendemain, j’ai rapidement compris qu’il n’avait pas spécialement envie de partir », confirme son coach une fois averti de l’approche, sans embellir une situation compliquée : « Il a un peu moins le sourire qu’auparavant. Loïc est heureux quand ses partenaires marquent, mais il est évidemment malheureux de ne pas jouer. »

En février, Rémy marque ses deuxième et troisième buts de la saison. Mais ils arrivent au bout des arrêts de jeu, dans des rencontres où la victoire est déjà assurée. Plus jamais dans le onze de départ, il donne tout dès qu’il a un peu de temps de jeu. Dans la vivacité comme dans la justesse technique, difficile pourtant de distinguer celui qui disputa un quart de finale de Coupe du monde avec les Bleus en 2014, ou encore marqua, en match amical deux mois plus tard, le seul but d’une victoire face à l’Espagne – une première depuis le Mondial 2006.

Trois matchs qui changent tout

Et puis tout – ou presque – a changé. Le 31 mars, à la surprise générale, Loïc Rémy est titulaire pour la première fois depuis début décembre. Si Leao marque dès son entrée en jeu, celui-ci vient malgré tout de perdre sa place. Car Rémy ouvrira le score contre Nîmes lors de la 34e journée le 28 avril, égalisera à Lyon le dimanche suivant et terminera par cette fameuse volée face à Bordeaux, le 12 mai.

En l’espace de quelques semaines et de quelques matchs, le buteur renaît et change le destin de son équipe. Et le sien au passage, lui qui possède encore une année de contrat dans le Nord. « Je savais que Loïc allait être présent sur ces matchs-là, assure Galtier. Au fur et à mesure des semaines et des séances d’entraînement, il est revenu à son niveau et il a pu enchaîner les cycles de travail. »

Mais si l’attaquant a été relancé, ce n’est pas uniquement grâce à ses performances à l’entraînement. Son entraîneur l’assume, il a voulu aussi faire passer un message à Leao, en perte de vitesse avec le retour des beaux jours. « Rafael était un peu plus en difficulté, il a eu une période très ascendante, mais, à 19 ans, il a eu un contrecoup derrière pour maintenir l’exigence. Il a peut-être eu un moment de relâchement. C’est normal à son âge, mais Loïc a montré dans les séances une aptitude à venir le concurrencer. »

Dans une saison lilloise où même les mauvaises nouvelles ont fini par devenir des bonnes, les rares blessés étant remplacés avantageusement, ce rebondissement aura donc été un coup de poker. Un ressort psychologique qui, s’il a un peu vexé Leao, a surtout relancé Rémy.

« J’aurais aimé jouer plus et marquer plus, mais, avec mon temps de jeu, j’essaie de faire le maximum et de le rendre au coach, philosophe le joueur. Il n’y a pas de raison de changer quand ça va bien, je pense que n’importe quel entraîneur aurait fait la même chose. Leao a eu cette éclosion et ça a été une période un peu plus difficile pour moi, mais ma force de caractère est toujours la même, ma motivation et mon envie aussi. » Une abnégation qui a fini par payer.

Christophe Kuchly