« Dans notre société patriarcale, l’idée que les femmes sortent de leur cuisine pour investir le débat public a beaucoup fait jaser », explique Hansa Vaghela. / GUILLAUME DELACROIX pour "Le Monde"

La pugnacité se lit sur son visage. A l’évidence, Hansa Vaghela ne s’en laisse pas conter lorsqu’elle dirige les réunions du comité de réhabilitation de Ramdev Nagar, où elle vit depuis son mariage en 2006. Son quartier est l’un des nombreux bidonvilles de Bhuj (200 000 habitants), la capitale du désert de Kutch, aux confins de l’Etat indien du Gujarat et à une centaine de kilomètres seulement de la frontière pakistanaise. « Quand j’ai été nommée dans cette instance, j’ai exigé que la moitié de ses membres soient des femmes mais les prises de décision restent un combat permanent, car les hommes essaient toujours d’imposer leurs vues », explique cette femme de 31 ans, qui se demande encore comment elle est arrivée là.

« J’ai exigé que la moitié de ses membres soient des femmes mais les prises de décision restent un combat permanent, car les hommes essaient toujours d’imposer leurs vues »

Née à Desalpar Gunthli, un village reculé de la vallée de l’Indus, elle a été scolarisée jusqu’à l’âge du collège. Le jour où ses parents lui ont trouvé un époux, elle n’a eu d’autre choix que de rejoindre la ville et d’interrompre ses études. Elle passait pour une frondeuse, car dans sa communauté des Devi Pujak, très majoritairement illettrée, il est mal vu que les filles aillent à l’école.

« J’ai fait deux enfants et la chance a voulu que l’Etat entreprenne alors de nous construire des logements en dur », raconte-t-elle. C’était en 2010, neuf ans après le terrible tremblement de terre qui avait ravagé la région, tuant entre 15 000 et 20 000 personnes, et détruisant près de 400 000 maisons. Objectif des pouvoirs publics : loger décemment les sans-abris et dédensifier la ville. « Voilà que les politiciens se décidaient enfin à nous offrir de l’espace et des murs solides. D’un seul coup, notre avenir prenait une nouvelle tournure », analyse Mme Vaghela.

En 2015, le chef du gouvernement régional est venu poser la première pierre d’un programme de 116 logements neufs. La jeune femme se souvient qu’avant cela, lorsqu’elle rentrait du centre-ville en rickshaw, le chauffeur ignorait où pouvait bien se trouver Ramdev Nagar. Depuis, en revanche, tout le monde connaît ! « Il faut dire que dans notre société patriarcale, l’idée que les femmes sortent de leur cuisine pour investir le débat public a beaucoup fait jaser. »

Les enfants vont désormais à l’école

Le montage financier de l’opération prévoit un financement public des nouvelles habitations à hauteur de 85 %, le solde devant être assumé par les foyers désireux de s’y installer. « On a dû emprunter de l’argent à la banque et pour rembourser, il a fallu que les femmes cherchent du travail et commencent par apprendre à écrire leur nom et à signer des papiers », souligne notre interlocutrice, qui avait une longueur d’avance en la matière et s’est retrouvée tout naturellement à aider ses voisines à s’émanciper.

Corollaire de cette nouvelle situation : les mamans ne pouvant plus garder les enfants à la maison, il restait à envoyer ces derniers à l’école. Au sein du comité dont elle a pris la tête, Hansa Vaghela a donc très vite imposé, sur le plan de masse du quartier en devenir, qu’un bâtiment collectif soit prévu pour accueillir un établissement scolaire pour les plus petits, une crèche et une maternelle. Avec une clôture pour empêcher les vaches et les chiens d’y entrer. « Si les hommes avaient été seuls à concevoir les espaces urbains, on n’aurait rien eu de tout ça », assure-t-elle.

« Si les hommes avaient été seuls à concevoir les espaces urbains, on n’aurait rien eu de tout ça »

Autre bataille : la distribution équitable des parcelles, en l’absence de titres de propriété. A l’époque du bidonville, les abris étaient tous de tailles différentes et quand les chefs de famille ont découvert les surfaces qui seraient allouées à chacun, ils ont tenté de faire capoter le programme. Mme Vaghela et ses amies les ont obligés à s’asseoir autour de la table et les ont fait plier. Dernière étape, la conception des maisons. « Nous nous sommes battues pour décider de l’emplacement des cuisines et de la taille des rangements. Et surtout pour qu’il y ait plusieurs points d’eau et des salles de bains. Ça, ce n’était pas négociable. »

Emportées dans leur élan, les femmes du comité ont aussi donné leur avis sur le choix des matériaux. Les architectes de l’ONG Hunnarshala (« L’école des talents », en langue hindi) sont venus présenter des maquettes avec des murs en briques de terre compressée, des toitures en pneus usagés et des menuiseries en bois de navires recyclés… Bien que sensibles à l’usage de matériaux recyclés, les femmes ont préféré des poteaux en pierre avec des armatures en acier à l’intérieur, afin de mieux résister aux séismes. L’an dernier, Hansa Vaghela s’est inscrite au lycée. Elle vient de passer l’équivalent du baccalauréat et attend les résultats avec fébrilité. En rêvant de « servir de modèle » aux autres femmes de sa communauté.

Femmes et « villes monde »

A l’occasion de la quatrième édition du « Monde Cities », Le Monde publie une série d’articles dédiée à l’implication croissante des femmes dans la ville, partout dans le monde.

« Le Monde Cities » décernera ses prix de l’innovation urbaine, vendredi 28 juin 2019 de 9 heures, à 12 h 30, à Ground Control (Paris 12e). L’entrée est libre, sur inscription en cliquant ici. Cette matinée sera, par ailleurs, l’occasion de débattre des grands enjeux de la « ville monde » avec des acteurs et experts internationaux.

Les prix récompenseront des innovations développées à l’initiative de municipalités, d’entreprises, de start-up comme d’associations, d’ONG, de fondations, de citoyens ou groupes de citoyens, dans cinq catégories :

Le prix mobilité récompensera un projet favorisant une mobilité…