En jugeant « conformes à la Constitution les dispositions de l’article 7 du code de procédure pénale », le Conseil constitutionnel a fait sauter une des dernières barrières empêchant l’extradition vers l’Argentine de Mario Sandoval. Cet ancien policier argentin, qui avait introduit une question prioritaire de constitutionnalité (QCP), a en effet été débouté par les « sages » jeudi 23 mai, a informé le Conseil constitutionnel vendredi.

Mario Sandoval est accusé dans son pays de crimes contre l’humanité et Buenos Aires réclame de pouvoir le juger depuis 2012.

Si l’Argentine, qui réclame à la France son extradition depuis 2012, soupçonne Mario Sandoval d’avoir participé pendant la dictature (1976-1983) à plus de 500 faits de meurtres, tortures et séquestrations, elle ne s’est appuyée que sur un seul dossier, celui de l’enlèvement et de la disparition, le 30 octobre 1976, d’Hernan Abriata. Etudiant en architecture, le jeune homme fut détenu à l’Ecole de mécanique de la marine (ESMA), un centre clandestin de torture d’où ont disparu quelque 5 000 opposants.

Installé en France depuis 1985

Le 24 octobre 2018, après une longue bataille judiciaire, le premier ministre français, Edouard Philippe, et la ministre de la justice, Nicole Belloubet, avaient signé le décret autorisant l’extradition de cet homme de 65 ans installé en France depuis 1985.

Mais l’ancien policier, qui a utilisé tous les recours possibles qu’offre la justice française pour retarder son extradition, a immédiatement formé un recours devant le Conseil d’Etat. Et il a aussi introduit une QCP relative à la conformité ou non de l’article 7 du code de procédure pénale tel qu’interprété par la Cour de cassation le 24 mai 2018.

Dans son arrêt, la Cour de cassation s’était en effet appuyée sur cet article relatif à la prescription des crimes pour affirmer que le délai de prescription court seulement à partir du moment où le corps de la victime est retrouvé ou que le mis en cause a avoué. Ainsi, la Cour établissait que le crime de la disparition d’Hernan Abriata était considéré comme « continu » et la prescription ne s’appliquait pas.

« On présume qu’il est coupable » en lui demandant « une preuve impossible à rapporter », avait plaidé le 14 mai devant les « sages » l’avocat de Mario Sandoval, Me Jérôme Rousseau, lors d’une l’audience délocalisée à Nantes.

« Contrairement à ce que soutient le requérant, il ne résulte pas de ces dispositions une impossibilité pour une personne poursuivie pour une infraction continue de démontrer que cette infraction a pris fin, le juge pénal appréciant souverainement les éléments qui lui sont soumis afin de déterminer la date à laquelle l’infraction a cessé », a relevé le Conseil constitutionnel. Les dispositions contestées sont donc « conformes » à la Constitution, ont tranché les « sages ».

« Imprescriptible »

En mai 2014, la cour d’appel de Paris avait émis un premier avis favorable à l’extradition, cassé en février 2015 par la même Cour de cassation, qui trouvait incompréhensible qu’Hernan Abriata ait pu continuer à être détenu alors même que la dictature est tombée en 1983. Un arrêt qui ignorait la réalité de la dictature argentine, qui a fait quelque 30 000 disparus dont on n’a dans la plupart des cas jamais retrouvé les corps. Le nouvel arrêt de la Cour de cassation du 24 mai 2018 était donc revenu sur cette interprétation et avait considéré que le crime de disparition était « continu » et donc imprescriptible.

« En droit pur, il est évident que ce crime est imprescriptible, soutient au contraire Me Sophie Thonon-Wesfreid, avocate de l’Etat argentin. Car si prescription il y a, à partir de quand la calcule-t-on ? A partir du retour à la démocratie, comme l’avait établi la Cour de cassation en 2015 ? A partir du départ de Sandoval d’Argentine ? A partir de l’arrestation d’Hernan Abriata, en 1976 ? Il n’y a toujours pas de corps, donc la disparition continue, et le crime aussi. S’il en était autrement, cela voudrait dire que plus le criminel est habile à dissimuler son crime, plus il sera impuni. »

Avec cette décision, rendue lors d’une séance à laquelle siégeaient, entre autres, les ex-premiers ministres Laurent Fabius et Alain Juppé, un nouveau principe constitutionnel a par ailleurs été consacré : « Selon ce principe, en matière pénale, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l’écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l’action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions », ont établi les « sages ».

« Mégaprocès »

Quelques jours avant la décision du Conseil constitutionnel, plusieurs organisations, dont la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et l’ONG de lutte contre la torture et la peine de mort avaient appelé le Conseil constitutionnel à « confirmer le caractère continu du crime de disparition forcée ». Faute de quoi, affirmait un communiqué, cela « équivaudrait à instaurer une amnistie générale des crimes d’Etat perpétrés par l’une des plus sanglantes dictatures du Cône Sud ».

Il revient à présent au Conseil d’Etat de décider si Mario Sandoval, qui a obtenu la nationalité française en 1997, sera finalement extradé vers l’Argentine. Une décision qu’attend depuis plus de quarante ans la famille d’Hernan Abriata, et en particulier sa mère, Beatriz, âgée de 92 ans.

Mario Sandoval, s’il est finalement extradé vers l’Argentine, doit être jugé lors du quatrième volet du « mégaprocès » sur les crimes commis dans l’enceinte de l’ESMA. Le troisième volet, qui s’est ouvert en novembre 2012, s’est terminé en novembre 2017 avec des peines de réclusion à perpétuité pour vingt-neuf des anciens tortionnaires.