Hongkong. Certains habitants parmi les plus démunis vivent dans des box de ce type, d’à peine 4 m². / SIPA/Shutterstock/Benny Lam/SoCO

« Miss Sze » est devenue au fil des ans l’une des figures les plus reconnues du combat pour les droits des laissés-pour-compte d’Hongkong, par le biais de Soco (Society for Community Organisation), une organisation sociale militante et indépendante fondée en 1971, sous l’influence des mouvements sociaux aux Etats-Unis. « Ils furent les premiers à dire qu’on ne pouvait pas rester assis en attendant que cela change », rappelle-t-elle. Dès le début, Soco a eu pour ambition de responsabiliser les communautés les plus démunies.

Quand elle n’est pas en visite chez ceux qu’elle appelle ses « clients », les habitants les plus pauvres de l’ancienne colonie britannique, cette femme calme et déterminée de 49 ans est la plupart du temps dans les bureaux un peu fatigués de l’association. Soco est située au troisième et dernier étage d’un petit immeuble survivant d’une autre époque, séparé d’une énorme voie rapide par deux stations-essence, dans le quartier de Ho Man Tin, où les tours de logements sociaux se serrent les unes contre les autres, à flanc de colline.

Box et maisons-cages

La pluie battante qui tambourine sur le toit en tôle ondulée de la pièce voisine oblige Miss Sze à hausser la voix. Les murs sont tapissés de piles de dossiers et les étagères plient sous le poids d’épais classeurs sanglés, autant de batailles juridiques livrées au nom de ces citoyens qui n’ont pas les moyens d’affronter leur administration pour demander un logement social ou une assistance à laquelle ils ont droit, souvent sans le savoir. Soco suit environ 10 000 cas par an. « Nous essayons de leur faire prendre conscience de leurs droits », explique Sze Lai Shan, tout en rappelant que beaucoup d’Hongkongais estiment honteux de toucher des allocations. « Si vous touchez le CSSA [couverture sociale complète], c’est que vous êtes paresseux, les gens vous méprisent », affirme-t-elle.

Posées ici et là en décoration improvisée, de grandes photos en noir et blanc montrent les conditions de vie misérables que l’organisation dénonce depuis sa création ; notamment les tristement célèbres maisons-cages (cagehomes) qui, dans leur version la plus radicale, sont de simples lits superposés entourés de filet ou de grillage.

On estime qu’encore 250 000 personnes sont mal logées dans la Région administrative spéciale de Chine

On estime qu’encore 250 000 personnes sont mal logées dans la Région administrative spéciale de Chine qu’est devenue Hongkong après la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine, en 1997. Outre les maisons-cages, les pauvres habitent dans des abris de fortune, bricolés sur les toits des immeubles, ils squattent des bâtiments industriels, ou louent des « cubicles », à savoir des box séparés les uns des autres par des partitions qui ne montent en général pas jusqu’au plafond. Chaque box, d’environ 4 ou 5 m², est loué à un couple, ou même à une famille, et tous les habitants du cubicle partagent cuisine et salle d’eau, dans des conditions souvent insalubres.

« On croit que le prix de l’immobilier est dû au fait qu’il n’y aurait plus de terrains disponibles à Hongkong. En fait, la majorité des terrains ne sont pas exploités. Mais comme on n’a pas de démocratie, le pouvoir est entre les mains de ceux qui détiennent l’argent », commente Miss Sze. Elle voudrait que le gouvernement réinstaure un contrôle des loyers. Ici, les propriétaires immobiliers peuvent augmenter sans motif et sans limite les loyers qu’ils exigent de leurs locataires. Il arrive qu’un loyer double d’une année à l’autre, sans préavis, forçant dans la plupart des cas les locataires à déménager, qu’il s’agisse de commerces ou d’habitations. En outre, une énorme partie du parc immobilier d’Hongkong appartient à quelques familles. « Ces propriétaires fonciers contrôlent le marché, mais le gouvernement n’a pas de contrôle sur eux », explique Miss Sze.

Développement communautaire

A l’entendre, Hongkong, qui se targue d’être l’économie la plus libre du monde et a toutes les apparences d’une ville émancipée, riche et énergique, est avant tout une ville marchande, où ce sont les riches qui donnent le ton et fixent les règles. Elle regrette l’absence de débat sur « le type de société que nous souhaitons vraiment ». Quant aux démunis qu’elle côtoie tous les jours, elle voit bien qu’ils n’osent pas remettre en cause le modèle social et urbain dans lequel ils vivent. Ils pensent qu’ils sont pauvres parce qu’ils sont moins bons que les autres. Et la seule recette connue, c’est de travailler dur. Mais cela ne suffit pas toujours pour s’émanciper de la pauvreté. Quant aux mères de famille qui misent tout sur leurs enfants, Miss Sze leur explique qu’il est dans l’intérêt de leur famille qu’elles s’éduquent aussi. « Je fais ce que je fais en tant qu’être humain. Mais cela rassure sans doute certains clients que je sois une femme. On nous fait confiance plus facilement », estime-t-elle.

« Parfois, j’utilise mon exemple pour les motiver à s’en sortir, car je sais ce que c’est… »

C’est pendant ses cours de sciences sociales à la Baptist University de Hongkong qu’elle a lu des essais sur l’organisation de la société et sur la justice sociale, notamment les travaux d’écrivains chinois, historiens, poètes et journalistes comme Liu Binyan, Bo Yang, Xiao Qian, ou Dai Houying, et aussi l’Américain Saul Alinsky, considéré comme le fondateur de l’organisation communautaire moderne. « De toutes les formes d’assistance sociale, le développement communautaire est celui qui entraîne les changements les plus durables. Il s’agit de convaincre le gouvernement de mener certaines actions, de changer les lois et de faire prendre conscience aux pauvres de leurs droits, et de leur potentiel… »

« Parfois, j’utilise mon exemple pour les motiver à s’en sortir, car je sais ce que c’est… », raconte encore Sze Lai Shan. Arrivée de Chine populaire à Hongkong en 1981, sans connaître ni le cantonais ni l’anglais, sa famille s’est d’abord entassée dans un minuscule logement avec les grands-parents à Quarry Bay, un quartier ouvrier surpeuplé de l’île, avant d’emménager en cubicle, où elle se partageait 4,60 m2 à quatre. Dans une rédaction d’enfant, Sze Lai Shan expliquait alors que, quand elle serait grande, elle voudrait être une femme d’affaires brillante, qui aurait gagné sa fortune honnêtement et qui la partagerait avec ceux qui ne seraient pas aussi riches qu’elle…

Femmes et « villes monde »

A l’occasion de la quatrième édition du « Monde Cities », Le Monde publie une série d’articles dédiée à l’implication croissante des femmes dans la ville, partout dans le monde.

« Le Monde Cities » décernera ses prix de l’innovation urbaine, vendredi 28 juin 2019 de 9 heures, à 12 h 30, à Ground Control (Paris 12e). L’entrée est libre, sur inscription en cliquant ici. Cette matinée sera, par ailleurs, l’occasion de débattre des grands enjeux de la « ville monde » avec des acteurs et experts internationaux.

Les prix récompenseront des innovations développées à l’initiative de municipalités, d’entreprises, de start-up comme d’associations, d’ONG, de fondations, de citoyens ou groupes de citoyens, dans cinq catégories :

Le prix mobilité récompensera un projet favorisant une mobilité…

« Libertés, égalité, pérennité : la ville-monde face aux défis du siècle » : tel est le thème de la conférence que Le Monde Cities organise vendredi 28 juin, de 9 h à 12 h 30, à Ground Control, Paris 12e. La ville connectée est-elle compatible avec la protection des données personnelles ? Les ségrégations socio-spatiales sont-elles la rançon à acquitter pour être une ville-monde ? Que peut la ville-monde face au réchauffement climatique ? Ces questions seront au cœur des débats auxquels prendront part Carlo Ratti (MIT), Cécile Maisonneuve (Fabrique de la Cité), Ross Douglas (Autonomy), Dominique Alba (APUR), entre autres. Inscription en ligne (gratuit)