Au marché à bétail de Merille, à 400 km au nord de Nairobi fin avril 2019. / TONY KARUMBA/AFP

Depuis des générations, les membres du clan de Kaltuma Hassan scrutent le ciel de leur région aride du nord du Kenya à la recherche du moindre signe de pluie – ici du vent, là un nuage en formation – afin de guider leurs troupeaux vers les pâturages. Désormais, des prévisions météo les aident aussi, par SMS.

Car leur science du ciel ne leur a pas été d’un grand secours ces dernières années, marquées par des sécheresses plus fréquentes et plus intenses. Les membres du clan peuvent marcher durant des jours avec leurs bêtes en ne rencontrant qu’une succession de rivières asséchées et de terres craquelées.

« Vous pouvez parcourir une longue distance et les bêtes meurent en chemin. C’est une vie très difficile », explique Kaltuma à l’AFP à Marsabit, l’une des principales villes de la moitié nord du Kenya où des millions de pasteurs et leurs proches dépendent entièrement du bétail pour survivre.

« Il ne pleut plus comme avant »

Cette femme de 42 ans passe désormais un peu moins de temps à fixer le ciel et un peu plus à consulter son portable : des prévisions météorologiques lui parviennent sur son téléphone, lui indiquant les zones les plus susceptibles de recevoir des précipitations, à une échelle très précise.

Le Kenya est frappé par la sécheresse tous les trois à cinq ans, relève la Banque mondiale. Mais ces épisodes sont de plus en plus rapprochés et aigus. Et la longue saison des pluies, qui vient normalement arroser, de mars à juin, la grande moitié nord du pays et les voisins comme la Somalie ou l’Ethiopie, s’annonce cette année très insuffisante.

Au point que les agences humanitaires comme le Programme alimentaire mondial (PAM) ont déjà mis en garde contre une hausse drastique du nombre de personnes qui vont avoir besoin d’une aide alimentaire d’urgence dans les prochains mois en Afrique de l’Est.

« Il ne pleut plus comme avant », constate Nandura Pokodo, venu vendre ses chèvres squelettiques au marché au bétail de Merille (nord). « Année après année, il est de plus en plus difficile de trouver des pâturages », se lamente cet éleveur de 55 ans.

En mars et en avril, il a marché des jours et des jours sans trouver le moindre herbage pour ses bêtes. Il n’avait pas assez plu, voire pas du tout. Une vingtaine de ses chèvres et moutons n’ont pas survécu, soit environ 20 % de son troupeau, et donc de sa richesse.

Pour éviter ces errances stériles, Kaltuma a longtemps fait appel à des guerriers du clan qu’elle envoyait en éclaireurs à la recherche de pâtures.

« Ils se lèvent très tôt le matin et ils observent les nuages, ils regardent la lune, pour décider où aller. Mais à présent, j’utilise ça », dit-elle en regardant sur son téléphone portable les dernières prévisions météo envoyées dans la langue de son clan Rendille. Ce service est alimenté par les prévisions d’une société américaine « d’intelligence agricole », aWhere, fondée en 1999. Les destinataires peuvent consulter les informations sur des appareils très basiques et peu coûteux sur le marché kényan, notamment lorsqu’ils sont achetés d’occasion.

Ces prévisions météorologiques hebdomadaires ont non seulement permis à Samuel Lkiangis Lekorima de pérenniser son troupeau mais aussi d’améliorer la sécurité de sa communauté.

Car la raréfaction des points d’eau et des pâturages a conduit à une compétition accrue entre communautés de pasteurs. Dans certains endroits ont eu lieu des violences entre éleveurs, qui pour beaucoup d’entre eux sillonnent désormais les pistes du nord kényan avec une kalachnikov en bandoulière.

Une dispute pour un point d’eau entre deux groupes a ainsi fait 11 morts près de la frontière éthiopienne début mai, selon la presse locale.

Images satellite

Samuel, éleveur de 22 ans de Marsabit, a mis à profit le service de SMS pour déminer les tensions avec d’autres clans. « Quand je reçois un message indiquant l’arrivée de la pluie, je préviens les autres », explique-t-il à l’AFP, limitant ainsi les déplacements de ses collègues sur les terres associées à d’autres clans.

La société de nouvelles technologies Amfratech, qui a lancé le service en début d’année, a également développé une application plus avancée pour smartphones et ambitionne de convaincre plusieurs dizaines de milliers d’éleveurs dans le cadre d’un projet financé en grande partie par l’Union européenne.

D’autres acteurs sont aussi à pied d’œuvre pour tenter d’améliorer le quotidien des éleveurs et, ce faisant, protéger un secteur qui représente plus de 12 % du produit intérieur brut kényan, selon la Banque mondiale. Ainsi l’Institut international de recherches sur l’élevage (ILRI), installé à Nairobi, utilise des images satellite afin de repérer des niveaux de pâturages et d’eau très bas, synonymes de risque mortel pour les troupeaux.

Des polices d’assurance sont désormais liées à cet index, qui prévoient le versement d’argent aux pasteurs avant que la sécheresse ne sévisse, leur permettant d’acheter assez de fourrage pour leurs bêtes. Selon plusieurs intervenants du secteur, des dizaines de milliers d’éleveurs kényans ont déjà souscrit à ce type d’assurance.