Algerian students scuffle with riot police during in a demonstration in the capital Algiers on May 21, 2019. Algeria's army chief urged demonstrators on May 20 to accept presidential polls set for July 4 to elect a successor to ousted president Abdelaziz Bouteflika. / AFP / - / - / AFP

Impossible de l’approcher : la Grande-Poste est encerclée par des dizaines de camions bleus de la police aux vitres grillagées. Cette vieille dame centenaire est désormais aussi bien protégée que le palais présidentiel. Vendredi 24 mai, les CRS ont barré l’accès à l’un des plus beaux symboles d’Alger. Et de la contestation contre le « système » qui a débuté il y a trois mois déjà.

Pour quelle raison ? Selon la wilaya (préfecture) de la capitale, les escaliers en marbre de l’entrée du monument pourraient céder sous le poids des protestataires, nécessitant des travaux d’urgence. Vraiment ? « C’est une provocation pour pousser le peuple à la confrontation. Mais pas question de tomber dans ce piège, il faut rester pacifique », avance Djellali, la soixantaine, enroulé dans son drapeau berbère. « Prenez la poste, cédez vos postes », a-t-on pu lire sur une pancarte.

Impressionnant dispositif de sécurité

En effet, même si les marches de la Grande-Poste leur ont été interdites, des centaines de milliers de manifestants ont, pour le quatorzième vendredi consécutif, occupé les rues de la capitale - et ailleurs en Algérie - pour dénoncer le « pouvoir assassin » et exiger l’annulation de l’élection présidentielle prévue le 4 juillet. Une partie du cortège s’est même rendue sur la Place des martyrs, immense esplanade au pied de la Casbah, loin de son itinéraire habituel, histoire de montrer que la ville leur appartient.

Ainsi, les Algériens continuent de mettre la pression sur l’exécutif alors même que la capitale et ses alentours ont été quadrillés par les forces de l’ordre. Les policiers n’ont pas hésité à faire virevolter la matraque. Plusieurs manifestants ont été arrêtés ; les sacs à dos des journalistes ont été fouillés ; et les agents en civil, extrêmement nombreux, ont arraché certaines pancartes. Politiques et journaux ont dénoncé une « répression policière » afin, notamment, de décourager les contestataires. Mais il leur en faut plus pour baisser les banderoles…

Le ventre vide et la gorge sèche (ramadan oblige), les sourires sont toujours aussi radieux. Les dix-neuf jours de jeûne n’ont pas affaibli le mouvement. Pendant des heures, sous un ciel gris assez lourd, les marcheurs n’ont cessé de crier en dansant et en tapant des mains « dégage » à Abdelkader Bensalah, le président par intérim depuis la démission d’Abdelaziz Bouteflika, Noureddine Bedoui, premier ministre, et d’Ahmed Gaïd Salah.

« AGS » au centre des slogans

Le chef de l’Armée nationale populaire (ANP) cristallise définitivement toutes les rancœurs. « Le peuple et l’armée sont des frères, mais Gaïd Salah est avec les traîtres » ; « y’en a marre des généraux », ont, entre autres, scandé les marcheurs. Depuis le début de la mobilisation, le 22 février, le général s’est affiché comme le protecteur de la nation et de la Constitution ; mais il est surtout perçu par les manifestants comme un proche du « clan Boutef » qu’il a toujours soutenu. Malgré tout, il est le seul représentant de l’État à s’exprimer tandis que M. Bensalah et M. Bedoui sont inexistants.

Le 20 mai, « AGS » a réinsisté sur la tenue des élections présidentielles prévues le 4 juillet afin d’« éviter un vide constitutionnel », a-t-il assuré. « Gaïd, le vide constitutionnel se trouve dans votre tête », a écrit sur une pancarte une jeune fille en guise de réponse. « La Constitution a été violée des tas de fois et maintenant il s’en préoccupe », lance Djamel, un quinquagénaire qui n’a jamais manqué une marche du vendredi.

Personne ne veut de cette élection présidentielle et quiconque ira voter sera considéré comme « un traître ». « Nous n’avons pas confiance en eux, ils sont spécialistes pour truquer les urnes, argue Youssef, la soixantaine qui se dit de plus en plus pessimiste. Ils vont réussir à nous imposer un nouveau Bouteflika, en plus jeune, qui va rester trente ans au pouvoir. Ce système mafieux est très, très fort. »

Les marcheurs exigent donc le départ immédiat des hauts dirigeants de l’État pour instaurer une assemblée constituante qui sera capable de gérer la transition politique et d’organiser des élections « libres et démocratiques ». Ils veulent éviter que l’armée confisque leur révolution et rappellent à chaque manifestation qu’ils veulent « un état civil, pas militaire ».

Le général Gaïd Salah a tenté de les rassurer sur ce point en affirmant que l’ANP n’avait « aucune ambition politique ». Mais cette phrase fait écho à celle qu’avait prononcée le chef de l’armée égyptienne Abdel Fattah Al- avant qu’il se fasse élire président après un coup d’Etat militaire en 2013 contre le président élu Mohamed Morsi.

Ahmed Gaïd Salah a souligné que sa seule volonté était d’« accompagner le peuple algérien », en évoquant un « serment » qu’il a fait devant « les martyrs de la révolution », ceux qui sont morts pendant la guerre d’indépendance (1954-1962). Ces morts, les manifestants ne les ont pas oubliés. « Les enfants du 1er novembre 1954 [début du conflit] sont de retour », a-t-on pu lire sur une pancarte. Les photos ou dessins des icônes de ce conflit contre la puissance coloniale française - comme Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane ou Djamila Bouazza – ont été omniprésents : ils sont aux yeux des marcheurs les vrais « héros » de la nation. Rien à voir avec Abdelkader Bensalah, Noureddine Bedoui et Ahmed Gaïd Salah rabaissés au rang d’« ennemis » à la patrie.