Donald Trump, sur la base d’Elmendorf, en Alaska, le 24 mai. / JONATHAN ERNST / REUTERS

Editorial du « Monde ». Donald Trump ne s’en cache pas : il déteste les médias. Il les vilipende sur les réseaux sociaux, les désigne à la vindicte de ses partisans dans les meetings électoraux, les qualifie régulièrement d’« ennemis du peuple ».

C’est, cependant, une attaque d’une tout autre nature que le président des Etats-Unis vient de livrer contre la liberté de la presse. Jeudi 23 mai, le département fédéral de la justice a annoncé l’inculpation pour espionnage de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, pour avoir obtenu et diffusé en 2010 des documents militaires et diplomatiques classés secret. Pour justifier les dix-sept nouvelles charges qui pèsent sur M. Assange, ressortissant australien actuellement détenu en Grande-Bretagne et dont les Etats-Unis demandent l’extradition, la justice américaine invoque une loi contre l’espionnage de 1917, adoptée pendant la première guerre mondiale.

Une grande partie des documents du Pentagone et du département d’Etat obtenus par Julian Assange avaient été transmis à cinq journaux internationaux (The Guardian, The New York Times, Le Monde, Der Spiegel, El Pais), qui avaient travaillé ensemble pour les analyser et masquer, avant publication, l’identification des personnes physiques susceptibles d’être mises en danger. Des informations éclairantes sur le comportement des forces américaines pendant la guerre en Irak, les pertes civiles, le traitement des détenus et la diplomatie américaine avaient ainsi pu être révélées. Un militaire américain, Bradley Manning (devenu depuis Chelsea Manning à la suite de son changement de sexe), avait été condamné à 35 ans de prison en 2013 pour avoir transmis ces documents à WikiLeaks ; le président Obama avait commué la peine en 2017, mais Chelsea Manning est, depuis, retournée en prison.

Implications potentielles très graves

M. Assange était déjà sous le coup d’un chef d’inculpation beaucoup moins grave aux Etats-Unis, celui de piratage d’ordinateurs de l’Etat. Les nouvelles charges qui pèsent sur lui portent non plus sur la méthode d’acquisition des documents, mais sur la motivation de sa démarche : il ne s’agit pas de transparence visant à révéler la vérité au public, accuse l’Etat fédéral américain, mais d’espionnage. L’administration Obama avait un moment débattu de cette option, puis y avait renoncé.

Les implications potentielles de cette qualification sont très graves. Elles vont bien au-delà de la personne de Julian Assange, dont le comportement, après cette brève collaboration de 2010 avec les médias, est loin d’être irréprochable : elles signifient que toute publication de documents secrets émanant de l’Etat américain pourrait être assimilée à une activité d’espionnage.

Les responsables des grands médias américains ne s’y sont pas trompés. Les rédacteurs en chef du New York Times et du Washington Post, notamment, ont aussitôt souligné que, de tout temps, les journalistes américains avaient dénoncé des erreurs du gouvernement et des abus de pouvoir grâce à des documents classés secret : le cas le plus célèbre est celui des « Pentagon Papers » et de leurs révélations sur la guerre du Vietnam, en 1971.

La démarche de l’administration Trump, estiment les deux journaux, touche au cœur du premier amendement de la Constitution, qui protège la liberté d’expression. Partenaire du New York Times dans la publication des documents de WikiLeaks en 2010, Le Monde s’associe à ces protestations. Il est inquiétant que les Etats-Unis fassent partie du nombre croissant d’Etats qui cherchent à contrôler l’information.