Ugo Humbert, à l’Open d’Australie, le 15 janvier. / PETER PARKS / AFP

Ugo Humbert a d’abord eu l’excuse d’avoir poney. Mais à l’heure de passer le premier galop, le jeune cavalier, du haut de ses 5 ans, s’est ravisé : « J’ai vu ma grande sœur tomber et je me suis dit : ça, c’est pas fait pour moi », raconte le jeune homme, rencontré au printemps au Centre national d’entraînement, à Paris, où la Fédération française de tennis couve ses jeunes pousses. Quelques semaines plus tard, il troquait la cravache pour une raquette. Un choix dont le tennis français se félicite encore.

Le Lorrain de 20 ans – qui affrontera l’Australien Alexei Popyrin, dimanche 26 mai (11 heures) pour le début officiel du tournoi de Roland-Garros – a été la révélation de l’été 2018 au sein d’une patrie en détresse, aucun Français n’ayant atteint les quarts de finale d’un tournoi du Grand Chelem pour la première fois depuis 1980.

Pour son baptême à l’US Open, fin août, sorti des qualifications, il a franchi le premier tour avant de prendre un set, au deuxième, à Stan Wawrinka, vainqueur du cru 2016. En juillet, il avait enchaîné trois finales de suite en tournois Challenger (la deuxième division du circuit). Une éclosion express qui s’est traduite par un bond de la 700e à la 84place mondiale en douze mois et aussitôt l’étiquetage « relève du tennis français ».

Lui n’y voit pas une pression supplémentaire mais « du positif ». « Relève ou pas relève, je trace ma route, je suis mon chemin. Mais je prends ça avec beaucoup de recul. » Les restes d’une timidité adolescente sont encore là, que trahit le petit rire nerveux qui ponctue la fin de ses phrases.

Ugo Humbert a longtemps été un gentil garçon. Il l’est resté dans la vie mais, sur le terrain, il a appris à se dédoubler. « Sur la fin des matchs quand il faut serrer le jeu, parfois mon côté un peu trop gentil ressortait. J’ai réussi à m’endurcir quand j’ai pris conscience que je voulais vraiment faire ça. Jusque-là, il me manquait la petite flamme. »

« On ne lui laisse pas le temps de digérer »

Avec la psychologue qui l’accompagne depuis six ans, il a travaillé la respiration et la visualisation. « L’agressivité, on est allé la chercher au plus profond de lui, synthétise son entraîneur, Cédric Raynault, qui a appris à composer avec sa sensibilité. Quand on l’a connu, dès qu’on lui disait un truc, il se vexait et se fermait, il avait un caractère pas du tout compatible avec la compétition. Comme quoi, tout est possible… »

Le déclic s’est produit à Roland-Garros il y a un an. Invité à disputer les qualifications du Grand Chelem parisien, Humbert n’y fait qu’un petit tour et puis s’en va, sorti par le Belge Ruben Bemelmans en trois sets. « Je me faisais du mal sur le terrain. A partir de là, je me suis posé les bonnes questions », explique-t-il, sibyllin.

Cédric Raynault, qui le suit depuis cinq ans, évoque des « discussions assez dures » : « Il avait trop de failles et des gros trous, il prenait parfois douze points d’affilée, détaille-t-il. A partir du moment où il a décidé qu’il voulait être professionnel de tennis, il est devenu lucide sur le terrain, meilleur dans le combat, dans la gestion des moments importants. Il a commencé à aimer le jeu, à faire déjouer l’adversaire, lui, l’attaquant. »

Depuis janvier, Ugo Humbert continue sur sa lancée : il arrive 61e mondial à Roland-Garros, sa première dans le tableau principal, après une demi-finale à Marseille en février. Mais le jeune homme n’a pas le loisir de se disperser. D’autant que la concurrence étrangère – les Stéfanos Tsitsipas, Denis Shapovalov et Félix Auger-Aliassime, entre autres – ne donne aucun signe de vouloir lanterner.

« On ne lui laisse pas trop le temps de digérer, on refixe direct des objectifs hyper-ambitieux », explique son coach, qui décrit des journées « de mutant », histoire de ne pas se liquéfier Porte d’Auteuil. « On envoie du lourd physiquement, car si vous jouez Nadal au premier tour, il faut être prêt. »

Le grand gaucher (1,88 m) est encore un peu frêle (73 kg), mais il dit désormais raffoler de la « muscu ». Plus jeune, des problèmes de croissance l’ont longtemps empêché de jouer. Sans jamais lui faire enterrer son rêve de gosse.

Le travail comme valeur sûre

Son jeu porté vers l’avant l’a jusqu’à présent mieux fait jouer sur dur même s’il se dit de plus en plus à l’aise sur terre battue. « J’ai beaucoup progressé par rapport à l’année dernière en termes de tactique, de défense… Au début, j’avais du mal, je voulais tout jouer en deux, trois coups sauf que c’est hyperrisqué… Comme c’est un peu plus lent, il faut donner du sens à chaque coup. »

Tous les joueurs vous le diront, la surface est celle qui demande le plus d’ajustements. Cela tombe bien, son entraîneur loue un bûcheur « hors pair » : « Parmi tous ceux que j’ai entraînés, je n’ai jamais connu ça, et pourtant à la base, ce n’était pas le plus doué. Mais il est tellement travailleur, intelligent, il se remet toujours en cause. C’est un garçon élevé avec des vraies valeurs de dépassement de soi. » Le père, Eric, tient une boucherie-charcuterie réputée sur la place de Metz.

Le fils cultive aussi la discrétion. Pas du genre à livrer ses états d’âme sur Twitter ou feuilletonner son quotidien sur Instagram. « Je ne suis pas très présent sur les réseaux, acquiesce-t-il. Je n’ai pas Twitter, Facebook, c’est ma sœur qui s’en occupe, mais je n’y vais jamais. » Son coach a essayé de le convaincre que ça faisait « partie du job », tout comme il l’a encouragé à prendre des cours de média training. En attendant, il essaie d’améliorer son anglais.

Autour de lui, les agents rôdent. Pour l’instant, il demande encore à son coach ou à son père de filtrer les demandes. Mais la situation ne saurait s’éterniser. Car « vu comment il s’entraîne, ça va exploser », prédit le coach.