Deux Français au pays du Brexit

A une centaine de kilomètres au nord-ouest de Londres, la ville d’Oxford, renommée pour sa prestigieuse université, est un bastion anti-Brexit : 70 % de ses habitants se sont prononcés pour le maintien dans l’Union européenne lors du référendum de 2016. En poste depuis septembre à la Maison française d’Oxford, Agnès Alexandre-Collier et Thomas Lacroix livrent pour Le Monde leur regard de chercheurs et de ressortissants français installés pour deux ans avec leurs familles.

Si la « drôle de guerre » de 1939 fut un conflit sans combattant, on a bien failli connaître au Royaume-Uni une campagne électorale sans candidat. Jusqu’aux derniers jours avant le scrutin, qui s’est déroulé jeudi 23 mai, les Britanniques ont attendu dans leur boîte aux lettres les habituelles brochures partisanes. Même silence sur les sites internet des principaux partis. Dans le comté de l’Oxfordshire, seuls les libéraux démocrates, résolument européens et les deux partis europhobes Brexit (le nouveau parti de Nigel Farage) et Ukip (l’ancien parti de Nigel Farage) affichent depuis plusieurs semaines leurs activités de campagne.

A regarder leurs homologues travaillistes et conservateurs, c’est même à se demander si les élections européennes ont bien lieu. Dans ce vide ambiant, les « lib-dems » (libéraux-démocrates) occupent la place : distribution de tracts sur les marchés, porte à porte, posters sur les fenêtres… Avec la déliquescence du Labour, ils ont le vent en poupe et comptent bien transformer l’essai. Quant aux partis pro-brexit, ils ne veulent tout simplement pas perdre leur temps sur des terres acquises au « remain ».

Pour avoir une meilleure vue des positions et des candidatures, nous nous sommes rendus aux « hustings » d’Oxford, le 17 mai. Les hustings sont à la politique britannique ce que les Christmas carols (chants de Noël) sont aux fêtes de Noël : une particularité anglaise dont les Français feraient bien de s’inspirer. Les hustings sont un héritage des assemblées des chefs dans les tribus anglo-saxonnes. Ils ont évolué pour devenir aujourd’hui une sorte de meeting politique où chaque parti en lice est représenté. Un succédané télévisuel est apparu récemment en France, lorsque, lors de la dernière élection présidentielle, les téléspectateurs ont découvert ces plateaux où se serrent en rang d’oignons l’ensemble des candidats.

Le Labour contre le Brexit tout en étant pour, faute de mieux

Mais en Grande-Bretagne, les hustings sont un véritable exercice de démocratie directe. Les modalités de prise de parole y sont très codifiées. Chaque candidat dispose en introduction de cinq minutes pour exposer ses arguments. Les organisateurs synthétisent ensuite les questions qui ont été rédigées par les spectateurs. A nouveau les candidats ont une minute pour y répondre. Ils ne peuvent réagir qu’aux questions que les électeurs leur posent, et ils n’ont pas le droit de s’interpeller entre eux (du moins pas trop).

Les hustings d’Oxford se sont déroulés dans le local d’une église méthodiste : ici pas de séparation entre l’Eglise et l’État, les églises sont des salles communes comme les autres. Nous avons découvert 9 candidats sur les 11 inscrits : les deux représentants du parti Brexit et de UKIP ne sont pas venus. On apprend d’ailleurs que Oxford n’est pas une exception : ils ont décliné les hustings partout au Royaume-Uni. Leur absence est judicieuse : ils évitent de s’exposer aux questions des électeurs, et savent d’avance qu’ils vont être au centre des discussions.

Sur les 9 candidats présents, tous sont pour rester dans l’Union Européenne, sauf les conservateurs explicitement pro-Brexit, le Labour qui est contre le Brexit tout en étant pour, faute de mieux (à moins que cela ne soit l’inverse, personne n’a bien compris), et enfin le candidat du parti socialiste (une variante locale du parti des travailleurs) qui penche plutôt pour une révolution prolétarienne pour régler le problème.

Parmi les autres partisans du « remain », outre les lib-dems et les verts, signalons le parti « Change UK », l’ex « Independent Group », qui accueille des transfuges issus des autres partis en raison de leurs désaccords avec leur précédente formation. Son représentant est d’ailleurs l’ancien député européen conservateur de l’Oxfordshire. Un micro-parti intitulé « UK-UE » rassemble quant à lui quelques Européens installés en Grande-Bretagne, souvent depuis plusieurs décennies. Sa candidate, une journaliste italienne, novice en politique et surtout soucieuse de raconter son expérience personnelle, semble découvrir qu’il y a d’autres partis anti-Brexit que le sien.

Les arguments défilent, sous les invectives, les rires ou les huées des spectateurs qui ne se privent pas de participer au débat.

Le panel inclut enfin deux candidats indépendants. Le premier, jeune entrepreneur, s’est rallié au mouvement du « printemps européen » visant à réformer les institutions, auquel s’est également rallié le français et ex-socialiste Benoît Hamon. Le second, un ancien maire à la retraite, trouve dommage que le pays quitte l’Union, se privant ainsi d’un moyen de s’assurer que le continent ne constituera pas un bloc hostile au Royaume de sa majesté !

Au fil des débats, les lignes de clivages se dessinent. Le candidat lib-dem chasse ostensiblement sur les terres de son voisin Labour en pointant les indécisions de son parti. Celui-ci lui rend coup pour coup en accusant les libéraux démocrates de polariser le pays. Un indépendant affirme que les Allemands ont interdit le référendum au motif qu’il avait amené Hitler au pouvoir ! La conservatrice, qui prétend que les échanges Erasmus se poursuivront dans les mêmes conditions malgré le Brexit, s’offusque devant le déni démocratique des opposants au Brexit. Son ancien camarade du Change UK lui rappelle que si l’on tient compte des non-votants et de l’abstention, 63 % des électeurs n’ont pas voté pour quitter l’Europe. Les arguments défilent, sous les invectives, les rires ou les huées des spectateurs qui ne se privent pas de participer au débat.

Pour les quelques dizaines de personnes présentes, les hustings ont été un bref sursaut en cette période d’abattement démocratique. Ce jeudi, dans le bureau de vote du quartier, on pouvait voir les mines défaites des électeurs qui se demandent ce qu’ils font là. Mais qu’on s’en réjouisse, dans ce climat morose les Britanniques pourront toujours se tourner vers les agences matrimoniales pour ressouder le pays : le site de rencontre match.com vient de lancer une campagne de speed dating « vote love » pour rassembler célibataires partisans et opposants au Brexit…

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