Un bureau de vote, à Lyon, le 26 mai. / Laurent Cipriani / AP

Editorial du « Monde ». A ceux qui en doutaient encore, la réponse des électeurs français, dimanche 26 mai, a été sans appel : une profonde recomposition politique est à l’œuvre dans notre pays. Elle porte aussi bien sur les enjeux, dominés par une triple crise identitaire, sociale et écologique, que sur les structures partisanes : le vieux monde s’écroule, un autre émerge, créant à chaque consultation un séisme d’intensité variable.

Premier scrutin intermédiaire depuis l’avènement du quinquennat d’Emmanuel Macron, les élections européennes ont apporté non pas une, mais trois surprises. La première a trait à la participation, bien plus forte que prévu. En dépit d’une campagne démarrée tardivement et assez peu pédagogique, l’Europe a en définitive beaucoup intéressé les citoyens. Sur les grands sujets du moment (l’écologie, le pouvoir d’achat, l’immigration), l’Union européenne apparaît comme le niveau pertinent d’intervention, qu’on approuve ou non son action. La prise de conscience de la globalisation, relativement tardive en France, est en train d’opérer.

La seconde surprise est l’avance des listes pro-européennes dans un contexte de très grande défiance politique : elles devancent d’au moins quatre points celles qui remettent en cause l’UE. La poussée d’Europe Ecologie-Les Verts n’est pas pour rien dans ce regain. Yannick Jadot, qui incarne la troisième surprise de ce scrutin, ne se contente pas de porter haut les couleurs de l’écologie, devenue la première préoccupation des jeunes. Il s’affirme aussi comme un europhile convaincu et vient, sur ce point, prêter main-forte à Emmanuel Macron dans son combat contre les nationalistes.

Descente aux enfers de LR

Ce clivage-là, loin de s’atténuer depuis la présidentielle, est en passe de structurer durablement le champ politique. Le duel Macron-Le Pen, soigneusement rallumé par les deux finalistes de 2017, est venu à bout des deux forces politiques dont l’alternance rythmait la vie de la Ve République. A eux deux, le Parti socialiste et Les Républicains totalisent à peine plus de 15 % des voix. Autant dire qu’ils ne pèsent plus rien. On savait, depuis la présidentielle, que le parti de François Mitterrand était mal en point. Cette fois, c’est la droite qui subit la réplique. LR a vécu, dimanche, une descente aux enfers, rongé sur son aile libérale par Emmanuel Macron et sur son aile souverainiste par Marine Le Pen.

La présidente du Rassemblement national apparaît comme la gagnante du scrutin, parce qu’elle a réussi à capitaliser, sur son nom, la révolte sociale de l’hiver, marginalisant, à l’autre bout de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon. Elle ne remporte pas pour autant le match retour contre le président de la République, car, deux ans après son élection, Emmanuel Macron reste le principal rempart contre le RN par élimination de toute autre forme d’alternative. Pour lui, le seul danger est la renaissance d’EELV, dont on ne saisit pas encore très bien ce que veut en faire Yannick Jadot : une force ancrée à gauche ou un parti « ni de droite ni de gauche », comme il le disait durant sa campagne ?

Une chose est sûre : l’ancien directeur de campagne de Greenpeace a compris qu’une page se tournait, que la politique ne se ferait plus à coups d’accords d’appareils, mais en allant chercher auprès des ONG et dans la société civile l’énergie pour bâtir un projet alternatif. C’est au fond la grande leçon de cette élection : l’avenir appartient à ceux qui ont fait ou feront l’effort de se réinventer, les autres disparaîtront.