Le président malgache Andry Rajoelina, à Antananarivo, le 29 avril 2019. / MAMYRAEL / AFP

L’enjeu des élections législatives à Madagascar, qui se déroulent ce lundi 27 mai, est de taille pour Andry Rajoelina. Le président, élu il y a cinq mois, doit asseoir la majorité qui lui permettra de gouverner sans entraves notables au cours des cinq prochaines années. Incidemment, le scrutin doit mettre fin à une situation peu durable qui a conduit M. Rajoelina à légiférer par ordonnance depuis l’expiration de la précédente législature le 4 février.

« Une cohabitation ralentirait voire mettrait en péril la politique générale de l’Etat », avance Lalatiana Rakotondrazafy, ministre de la communication et de la culture et porte-parole du gouvernement. Selon la Constitution, le groupe des partis majoritaires qui sortira vainqueur des élections proposera un premier ministre, nommé ensuite par le chef de l’Etat.

Le sujet est d’autant plus important qu’Andry Rajoelina a dû temporiser sur son projet de supprimer le Sénat. La Haute Cour constitutionnelle (HCC) a en effet émis un avis défavorable à la demande de la présidence d’organiser un référendum constitutionnel jumelé avec les élections législatives pour trancher cette question. Un « camouflet » s’est écriée l’opposition, quand on préfère parler de « contretemps » du côté de la présidence.

Tractations et corruption

« C’était un passage en force très maladroit, estime Serge Zafimahova, président de la plate-forme politique Dinike. De guerre lasse, le président de la République a obtenu par ordonnance mercredi 22 mai que le nombre de sénateurs soit réduit de 63 à 18 membres, dont 12 élus, avec le feu vert de la HCC. Une solution intermédiaire en attendant la suppression définitive de l’institution après les législatives, dit-on dans l’entourage du président.

En attendant, la plate-forme IRD (« Isika Rehitra Miaraka amin’i Andry Rajoelina », soit « Tous avec Andry Rajoelina »), qui a déployé d’importants moyens pendant la campagne, présente lundi le plus gros effectif avec 151 candidats. En face, le principal parti d’opposition, le TIM (« Tiako I Madagasikara », ou « J’aime Madagascar ») de Marc Ravalomanana, en aligne 109. Le HVM (« Hery Vaovao ho an’ny Madagasikara » ou « Force nouvelle pour Madagascar »), rassemblement du président sortant Hery Rajaonarimampianina, accuse sa défaite et s’est montré quasiment invisible.

A Madagascar, le mode de scrutin diffère selon la taille des districts. Ceux de plus de 300 000 habitants éliront leurs députés à la proportionnelle. 64 sièges sont à pourvoir. Ceux de moins de 300 000 habitants désigneront 87 députés selon un scrutin uninominal majoritaire à un tour. A eux deux, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina présentent 260 candidats sur les 810. 485 des aspirants à la députation sont sans étiquette. Ces derniers seront certainement en position d’arbitres pour donner une majorité au TIM ou à l’IRD.

Tractations, alliances circonstanciées et corruption seront-ils le quotidien de la future Assemblée nationale, comme ce fut le cas pour la précédente ? « C’est une porte ouverte vers une explosion de la corruption au sein de l’Assemblée, car ces prétendus sans couleurs vont rapidement se vendre au plus offrant, analyse Ketakandriana Rafitoson, la directrice exécutive de Transparency International Madagascar. Les électeurs voient dans ces candidats des forces potentielles de changement. C’est une tromperie, car je pense que certains de ces indépendants sont financés par les grands partis, dans une stratégie de conquête de sièges malhonnête. Ils sont source d’instabilité. »

« Passe-droit à tous les crimes »

La campagne des législatives, si elle s’est déroulée sans incidents notables, a vu la mise sous mandat de dépôt de quatre candidats à la députation. Parmi eux, l’ancien directeur général du service foncier, M. Hasimpirenena, et membre de l’IRD, soupçonné d’être impliqué dans la cession frauduleuse de la Villa Elizabeth en 2017. Selon le Bianco (Bureau indépendant anticorruption), la vente de ce bâtiment appartenant à l’Etat serait entachée par la corruption de plusieurs responsables publics.

Les enquêteurs du Bianco ont aussi incriminé 79 députés de la précédente législature pour avoir touché 12 500 euros chacun pour voter les lois électorales en avril 2018. « C’est une honte, déplore Ketakandriana Rafitoson. C’est l’éternel débat entre présomption d’innocence et immunité. Mais, moi, j’y vois toujours l’empreinte de l’impunité ! La justice et la CENI [Commission électorale nationale indépendante] devraient être strictes et disqualifier illico tous ceux qui ont une affaire en cours. Car comment assurer la probité de la future Assemblée nationale si on autorise des criminels à y siéger [la moitié des députés au moins de la législature précédente trempait dans des affaires louches] ? Tant que le statut de député servira de passe-droit à tous les crimes, aucun changement ne sera possible ! »

Début mai, plusieurs organisations de la société civile ont interpellé le président de la République au sujet de la loi sur le recouvrement des avoirs illicites, une étape cruciale dans la lutte contre la corruption. Le projet a été déposé il y a plus d’un an et n’a jamais été adopté.