L’ancien ministre de la défense, Avigdor Lieberman, à Jérusalem, le 27 mai. / RONEN ZVULUN / REUTERS

C’est un psychodrame classique, inscrit dans la nature même du système parlementaire israélien. Mercredi 29 mai à 23 h 59 expirera le délai accordé au premier ministre, Benyamin Nétanyahou, pour constituer une majorité à la Knesset d’au moins 61 membres sur 120. Le chef du gouvernement est engagé dans des négociations serrées avec ses partenaires naturels depuis les élections du 9 avril : deux partis ultraorthodoxes, les centristes de Koulanou et les formations d’extrême droite.

En 2015, il avait fallu attendre les dernières heures pour que M. Nétanyahou s’entende avec Le Foyer juif de Naftali Bennett. Beaucoup de commentateurs croient encore à une issue similaire. Mais ce scénario se heurte à des obstacles de taille. M. Nétanyahou négocie en position paradoxale de faiblesse, depuis que le président Réouven Rivlin l’a chargé de former le gouvernement, le 17 avril. Tous ses interlocuteurs connaissent sa priorité : trouver un subterfuge pour échapper aux poursuites judiciaires.

Une triple procédure d’inculpation a été déclenchée contre M. Nétanyahou fin février. Depuis, ses avocats jouent la montre. Prévue en juillet, sa première audition avant toute inculpation formelle a été repoussée à octobre. La presse, elle, bruit de rumeurs sur la stratégie possible de M. Nétanyahou pour obtenir une immunité parlementaire. Il serait prêt à faire voter une loi qui priverait la Cour suprême du pouvoir de censurer des législations jugées non conformes aux lois fondamentales.

Cette atteinte sans précédent à l’équilibre des pouvoirs est réclamée par l’extrême droite. L’opposition dénonce une menace grave contre la démocratie israélienne. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Tel-Aviv, le 25 mai. Sur scène étaient réunis Benny Gantz et Yaïr Lapid, les deux chefs de file de Bleu et Blanc, des figures de la gauche et même – chose rare – le député arabe Aymen Odeh (Hadash-Ta’al). Un modèle repoussoir était souvent cité : la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.

Atmosphère surchauffée

Dans cette atmosphère surchauffée, M. Nétanyahou a brandi la menace de nouvelles élections. Il a demandé au député du Likoud Miki Zohar de mettre sur la table dès lundi une proposition de dissolution de la nouvelle Knesset. Mais un homme résiste et joue avec les nerfs de « Bibi ». Il s’agit d’Avigdor Lieberman, l’ancien ministre de la défense. Cet ultranationaliste se pose en porte-voix des Israéliens exaspérés par les privilèges dont bénéficient les ultra-orthodoxes, notamment celui d’échapper au service militaire obligatoire. M. Lieberman veut que le compromis législatif, voté en première lecture en juillet 2018, soit mis en œuvre à la virgule près par la nouvelle Knesset.

Dans la soirée de dimanche, M. Nétanyahou a convoqué tous les partenaires de droite pour scinder le projet en deux. M. Lieberman a refusé de se présenter. Si un compromis n’est pas trouvé avant mercredi soir, de nouvelles élections législatives pourraient s’avérer indispensables.

Vétéran madré, Avigdor Lieberman partage avec Benyamin Nétanyahou une résilience prodigieuse et des ennuis judiciaires depuis vingt ans. Mais il n’est jamais parvenu à être un véritable rival pour « Bibi », rattrapé par ses origines et confiné à son public communautaire. Agé de 61 ans, M. Lieberman est né en Moldavie. Arrivé en Israël en 1978, il a travaillé un temps comme videur de boîte de nuit. Il a commencé sa carrière politique au sein du Likoud, devenant directeur de cabinet de M. Nétanyahou au cours de son premier mandat (1996-1999). Les deux hommes se connaissent intimement.

En 1999, il a créé Israël Beitenou, formation laïque s’adressant à la minorité russophone. Ministre à de nombreuses reprises, notamment des affaires étrangères, M. Lieberman s’est fait connaître avec ses déclarations à l’emporte-pièce. Son idée fixe : un échange de territoires avec les Palestiniens, pour débarrasser Israël de sa minorité arabe. Peu avant le scrutin législatif de mars 2015, M. Lieberman a déclaré au sujet des Arabes israéliens : « Ceux qui sont contre nous, il n’y a rien d’autre à faire si ce n’est ramasser une hache et leur couper la tête. »

Après la démission de Moshe Yaalon, M. Lieberman a fini par occuper le poste prestigieux de ministre de la défense pendant deux ans et demi. Il en a démissionné avec fracas, en novembre 2018. Motif invoqué : l’attitude du gouvernement jugée trop conciliante à l’égard du Hamas à Gaza et un transfert de 15 millions de dollars d’aide du Qatar, en liquide, accepté par M. Nétanyahou. « C’est comme payer des frais de protection à la mafia », expliqua alors M. Lieberman. Il lui faudrait démontrer une grande souplesse pour justifier à présent un retour à ce poste. A moins que la tentation du vide, dans lequel il pourrait entraîner Benyamin Nétanyahou, soit trop puissante.