A Bruxelles, le 26 mai. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

Cécile Ducourtieux, correspondante du Monde à Bruxelles, a répondu à vos questions sur les suites des élections européennes.

Samivel51 : Ne se dirige-t-on pas vers un Parlement européen ingouvernable car incapable de former une coalition majoritaire stable ?

C’est peu probable : les quatre grands partis proeuropéens, les conservateurs du PPE, les sociaux-démocrates du S&D, les Libéraux d’ALDE et les Verts, ont une pression maximale pour faire barrage aux eurosceptiques et populistes qui, à eux tous, devraient peser 171 sièges (22,7 % de l’Hémicycle). Mais les discussions entre eux s’annoncent ardues. Joseph Daul, le président du PPE, a annoncé, dimanche 26 mai au soir, que son parti ne réclamait qu’un poste, mais le plus puissant de l’Union : la présidence de la Commission, pour Manfred Weber, le champion, allemand, de la CDU/CSU.

L’ALDE et les sociaux-démocrates ne sont pas prêts à l’accepter, chacune de ces formations ayant des têtes de liste concurrentes (Frans Timmermans chez les S&D, Margrethe Vestager chez les Libéraux). Quand aux Verts, malgré qu’ils pèsent beaucoup moins que les trois autres formations (69 sièges, contre respectivement 180 au PPE, 146 au S&D et 109 à ALDE), mais ils vont exiger qu’une coalition parlementaire s’engage sur un programme environnemental ambitieux. Or, celui du PPE est pour le moins léger en la matière.

Jordan (pas Bardella) : le jour où le Brexit entrera en vigueur et que les 73 députés européens britanniques devront partir, quelle sera la couleur politique des députés qui entreront ? Seront-ils susceptibles de modifier les rapports de force ?

Le Parlement européen n’a pas encore publié de projections officielles, il faut dire que la question est politiquement très sensible. Seule chose que l’on peut dire, a priori : si les élus britanniques partent, mécaniquement, les groupes politiques qui y perdront le plus seront les sociaux-démocrates, les libéraux, et l’EFDD, gonflée par la cohorte des députés du Parti du Brexit de Nigel Farage. Mais comme il a été décidé, en 2018, qu’une partie des 73 sièges laissés vacants par les Britanniques en cas de Brexit seraient redistribués aux Etats membres (5 pour la France, 3 pour l’Italie, 3 pour les Pays-Bas, etc.), certains partis pourraient limiter leur recul. Ces postes seront en effet redistribués nationalement, aux partis, en fonction de leurs performances lors du scrutin.

Otto : quels sont les principaux prétendants pour les postes de président de la Commission européenne, président du Conseil européen et président de la Banque centrale européenne ?

Il y a trois types de prétendants. Les officiels, les officieux, et les fantômes. Commençons par les officiels : à l’automne 2018, les principaux groupes politiques, conservateurs du PPE et sociaux-démocrates du S&D ont décidé de se choisir des têtes de liste candidates à la succession de M. Juncker à la Commission. Il s’agit du Bavarois Manfred Weber et du néerlandais Frans Timmermans. Les Libéraux n’ont joué qu’à moitié le jeu, préférant nommer une équipe de candidats, dont la Danoise Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, qui sort nettement du lot.

Parmi les candidats officieux, le plus évident est le Français Michel Barnier, membre du PPE, négociateur en chef de l’UE pour le Brexit. Il aurait pu se présenter à la primaire interne du PPE, contre M. Weber à l’automne 2018, mais a préféré continuer à mener la négociation du divorce avec Londres. Désormais, il se tient en réserve, au cas où la candidature de M. Weber déraille.

Enfin, il y a tous les candidats « fantômes » ou « surprises », ceux dont on parle à Bruxelles depuis des mois alors qu’ils n’envisagent probablement pas de se lancer. Ainsi Angela Merkel, la chancelière allemande. Sur cette longue liste aussi, tous les dirigeants désormais disponibles, car au terme de leur mandat ou balayés par une récente élection : le Belge Charles Michel, la Lituanienne Dalia Grybauskaité. Et ceux tentés par une carrière européenne : le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, la dirigeante de la banque mondiale, Kristalina Georgieva…

Marion S : quelles sont les prochaines échéances clés dans les prochaines semaines pour la sélection des candidats aux postes clés ?

Le ou la présidente du Parlement européen doit être confirmé par un vote en plénière du nouvel hémicycle, la semaine du 2 juillet. Le ou la président.e de la Commission doit aussi être confirmé, par un vote à la majorité absolue en plénière, mi-juillet. Ce calendrier doit permettre une entrée en fonction de la Commission européenne renouvelée début novembre, le/la présidente de l’institution ayant tout l’été pour choisir son collège de commissaires (venant des 28 pays de l’Union), et le Parlement européen, le début de l’automne, pour les auditionner.

Mais ce calendrier est assez théorique : il sera tenu si, courant juin, le Parlement européen et les 28 gouvernements parviennent à s’entendre sur ces postes clés. Ce qui n’a rien d’évident, Berlin défendant par exemple Manfred Weber pour remplacer Jean-Claude Juncker alors qu’Emmanuel Macron semble plutôt vouloir soutenir les candidatures du Français Michel Barnier ou de la Danoise Margrethe Vestager.

sky84 : quelles sont les principales lignes de fractures entre les 3 groupes eurosceptiques ? Sur quels sujets peuvent-ils se retrouver ?

Les trois principaux partis classés à droite du PPE, la droite classique, sont l’ECR (Conservateurs et réformistes européens), l’EFDD (Europe de la liberté et de la démocratie directe), et l’ENL (Europe des nations et des libertés). Ils ont chacun leur identité propre : l’ECR s’est construit autour de deux « noyaux » : les ultraconservateurs du PiS, le parti au pouvoir en Pologne. Et les conservateurs (tories) britanniques, pas franchement un parti d’extrême droite pour le coup.

L’ENL a été créé autour du Front national (devenu RN), en 2015, et regroupe la Ligue italienne, l’AfD allemande ou le FPÖ autrichien. Il est jugé plutôt prorusse, donc infréquentable par les élus du PiS polonais. Enfin, l’EFDD a été fondé en 2009 essentiellement autour des élus britanniques du parti europhobe UKIP, dont Nigel Farage était à l’époque le chef de file. Il a récupéré, sur la législature 2014-2019, l’essentiel des élus italiens du Mouvement 5 étoiles. Et il pourrait accueillir les nombreux élus du Parti du Brexit, le nouveau parti créé par M. Farage…

Difficile, à première vue, d’identifier des sujets sur lesquels ces groupes pourraient forger une alliance solide : la plupart sont très nationalistes et leur solidarité s’arrête à leurs frontières nationales. La Ligue italienne veut renvoyer les réfugiés ailleurs en Europe. Les Polonais ne veulent pas en entendre parler…. Peut-être la volonté d’affaiblir le rôle de la commission européenne ? La plupart dénoncent un soi-disant « diktat » de Bruxelles.