L’épave du « Clotilda » a été retrouvée par une équipe d’archéologues sous-marins, dans un bras du fleuve Mobile. / Daniel Fiore / AP

Depuis plus de 150 ans, le « bateau de l’horreur » était devenu une légende dans l’Alabama, si bien que des négationnistes doutaient même de son existence. Le dernier navire négrier à avoir jamais ramené des esclaves depuis l’Afrique vers les Etats-Unis, le Clotilda, a été identifié cette semaine par une équipe de chercheurs américains, a rapporté le New York Times. L’épave a été retrouvée en amont d’un bras boueux du fleuve Mobile, près de la ville d’Africatown, là où avait fini le voyage des 110 personnes kidnappées en 1860 au Dahomey, un territoire appartenant aujourd’hui au Bénin.

Pour les historiens, la découverte de ce navire est « cruciale dans la compréhension de l’histoire du pays », souligne le quotidien américain. « La découverte du Clotilda est une découverte archéologique extraordinaire », a expliqué Lisa Demetropoulos Jones, directrice exécutive de l’Alabama Historical Commission (AHC). Le voyage du navire « a représenté l’une des périodes les plus sombres de l’histoire moderne » et l’épave constitue « une preuve tangible de l’esclavage ».

Cette découverte permet, en effet, de retracer l’intégralité du destin de Timothy Meaher, propriétaire sudiste d’une plantation de coton à Mobile et armateur de plusieurs bateaux. En pleines tensions avec le Nord, l’homme s’était vanté, pariant la somme de 1 000 dollars, de pouvoir braver l’interdiction fédérale d’importer des esclaves, en vigueur depuis 1808. Un crime pourtant puni par la peine de mort, alors que 389 000 Africains avaient déjà été ramenés de force sur le continent américain entre le début du XVIIsiècle et les années 1860.

Quarante-cinq jours de traversée

Le capitaine de la goélette affrétée pour l’expédition, William Foster, n’avait pas reculé devant l’enjeu. Le voyage de retour avait duré quarante-cinq jours sur ce voilier de 26 mètres, à la charpente bâtie en chêne blanc. A bord, les 110 hommes, femmes et enfants capturés ne recevaient que quelques gorgées d’eau quotidiennement, selon l’historienne Sylviane Anna Diouf, autrice du livre Rêves d’Afrique en Alabama.

Le voyage du dernier bateau négrier américain a, en effet, été très documenté. « La personne qui a organisé l’expédition en a parlé. Le capitaine du navire a écrit sur le sujet. Nous connaissons donc l’histoire sous différents angles. Je n’ai rien vu de tel ailleurs », a ainsi expliqué Sylviane Anna Diou au National Geographic.

Après avoir transféré les esclaves sur un bateau fluvial détenu par le frère de Meaher, William Foster a ensuite mis le feu à son navire et le fit couler pour éviter toute dénonciation. Si de nombreux esclaves furent vendus durant la remontée du fleuve Mobile, Timothy Mayer en garda soixante pour sa propre plantation.

A la fin de la guerre civile et lorsque l’abolition de l’esclavage fut décidée, nombre de ces hommes et femmes espérèrent regagner leur continent natal. Mais devant la difficulté de mener ce voyage retour, beaucoup restèrent sur place, établissant entre 1866 et 1868 leur propre village, connu désormais sous le nom d’Africatown. Certains achetèrent alors des terres à leurs anciens maîtres. Selon Sylviane Anna Diouf, Timothy Mayer refusa catégoriquement de vendre un seul de ses lopins de terre.

Au milieu du XXe siècle, Africatown connut un bel essor économique, fondé notamment sur la pêche et les industries de coton et de papier. L’un des derniers passagers du Clotilda, Cudjoe Kazoola Lewis, mourut en 1935. Depuis, la ville n’a cessé de décliner. De 12 000 habitants à son apogée, le village abrite désormais moins de 2 000 résidents, selon le New York Times, qui relate les difficultés rencontrées ces dernières années : crise économique, fermetures d’usine, ouragan Katrina, marée noire après l’explosion de la plate-forme BP dans le golfe du Mexique, etc.

Qu’adviendra-t-il désormais de la goélette symbole de tant de maux de la région ? C’est à l’Etat de l’Alabama de décider si le navire, qui repose à seulement 1,50 mètre de fond mais est fiché dans une vase épaisse, sera restauré ou non. Beaucoup d’habitants, descendants de ces esclaves arrivés à bord du Clotilda, espèrent que le navire pourra être exposé dans le village et devenir un lieu de tourisme historique, pour relancer l’économie.

Dans son interview au National Geographic, l’historienne Sylviane Anna Diouf a elle aussi estimé qu’il « serait bon que ce navire infâme puisse au moins apporter quelque chose de bon à la communauté ».