Une femme de nationalité belge, mariée avec un djihadiste français, et son fils, en mars dans le cam de Roj, en Syrie. / Maya Alleruzzo / AP

La France a l’impératif de rapatrier « sans condition » les enfants mineurs de nationalité française aujourd’hui détenus dans des camps en Syrie, exhorte la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans une lettre adressée mercredi 29 mai par son président au premier ministre, Edouard Philippe. Invoquant « leur droit à la vie, à la santé et celui de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants », la CNCDH appelle la France à abandonner la politique de rapatriement « au cas par cas », jugée « contraire à la simple humanité comme aux obligations auxquelles [la France] a souscrit. »

« Nous avons décidé de saisir le gouvernement du fait du sentiment d’urgence et de ce qu’il tergiverse alors qu’il y a danger de mort pour ces enfants mineurs », a déclaré au Monde Jean-Marie Delarue, le président de la CNCDH. Des rapports récents, dont celui publié le 22 mai par le Comité international de la Croix-Rouge, s’alarment des conditions de vie dans les camps de Al-Hol, Roj et Aïn Issa, placés sous le contrôle des forces kurdes. Manque d’eau, de nourriture, de structures sanitaires ; absence de toute scolarisation ; menaces ou violences dont font l’objet certaines familles venues d’Europe : « Les enfants ne bénéficient manifestement pas de la protection qui leur est due », estime la CNCDH.

La Commission juge les mesures de rapatriement « au cas par cas » – qui ont donné lieu au rapatriement de six enfants mineurs en mars – « tout à fait insuffisantes ». Elle déplore que les autorités françaises fassent primer des intérêts contraires à ceux des enfants, comme les réticences de l’opinion publique et les objectifs de sécurité. La CNCDH adresse une critique à peine voilée à la formule de « bombes à retardement » souvent associée à ces enfants mineurs.

« On ne naît pas terroriste »

« L’argument du danger ne saurait prévaloir : on ne naît pas terroriste », estime la CNCDH, qui juge au contraire que « le meilleur moyen de préserver la sécurité des Français est de tout mettre en œuvre pour garantir la réinsertion sociale de ces enfants ». « Cette réinsertion doit se faire en France, car nous en avons les moyens alors qu’en Syrie, il n’y a rien. Le risque de les laisser là-bas est d’en faire de la graine de terroristes, car ils nous en voudront », explique au Monde le président de la CNCDH, Jean-Marie Delarue.

Leur rapatriement en urgence s’impose, selon la CNCDH, au regard de « la simple humanité » afin de les écarter d’« un danger immédiat ». Il incombe en outre à l’Etat français de protéger ses ressortissants, en particulier les enfants en bas âge et ceux touchés par des conflits armés. La France a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant, qui fait primer « l’intérêt supérieur de l’enfant », et son protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés. Cette protection s’applique également aux enfants soldats qui « doivent être regardés comme des victimes », estime la CNCDH.

Selon les derniers chiffres, donnés mardi par le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, se trouveraient dans le Nord-Est syrien de « 400 à 450 Français, certains dans des camps, d’autres prisonniers, dont des enfants » et une centaine d’autres dans la région d’Idlib, la dernière zone rebelle dans le nord-ouest de la Syrie. Les appels se multiplient pour presser Paris d’accepter le retour de tous les mineurs, si possible accompagnés de leur mère. L’ancien président François Hollande a notamment plaidé en ce sens. Le 6 mai, les grands-parents de deux jeunes enfants français de djihadistes, blessés en Syrie, ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme dans le but de faire condamner la France pour refus de les rapatrier.

Conditions « sordides et dangereuses »

Mardi, dans une déclaration publiée à Strasbourg, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a également exhorté les Etats européens à rapatrier « en urgence » leurs ressortissants mineurs détenus dans le camp d’Al-Hol, en Syrie, où 73 000 personnes vivent dans des conditions « sordides et dangereuses ». Dunja Mijatovic a mentionné un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour souligner que 90 % des partisans de l’organisation Etat islamique enfermés dans ce camp sont des femmes et des enfants « dont beaucoup n’ont pas plus de 6 ans ». Selon l’OMS, on y dénombrait 249 morts au 11 avril, pour 80 % des enfants en bas âge, décédés à la suite de malnutrition, de plaies infectées, de brûlures et de diarrhées aiguës.

« Je les exhorte également à envisager le rapatriement de leurs mères, dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant », ajoute-t-elle en précisant que « rien n’empêche » les Etats de traduire ces femmes en justice si nécessaire. Cette mention n’apparaît pas dans la lettre adressée mercredi au gouvernement français par la CNCDH. « La Commission n’a pas souhaité le faire apparaître à ce stade, car la situation des parents est très contrastée, indique M. Delarue, son président. Mais s’il faut rapatrier des mamans avec ces enfants mineurs, nous n’y sommes pas opposés, c’est implicite dans le texte, et si elles doivent répondre de leurs actes devant la justice française, ces enfants pourront être placés chez des tiers. »