« Fire Mark Zuckerberg. » Le slogan appelant à « virer » le patron de Facebook s’est affiché en grand sur la façade de l’hôtel Nia, choisi cette année pour accueillir l’assemblée générale des actionnaires du géant du numérique, jeudi 30 mai. Cette protestation visuelle, réalisée de nuit, la veille, grâce à un vidéoprojecteur braqué sur le bâtiment sis à Menlo Park (Californie), non loin du siège de Facebook, a été revendiquée sur Twitter par Fight for the future, une association de lutte pour les libertés en ligne.

« Depuis toujours, nous tenons pour parole d’évangile l’idée que les fondateurs de la Silicon Valley ont le droit de diriger les entreprises les plus puissantes jamais créées. Il faut faire éclater ce vieux culte. Les actionnaires réalisent que le problème se trouve à la cime », écrit cette ONG, selon laquelle « le modèle économique de Facebook, la collecte de données à des fins publicitaires, est fondamentalement opposé à la démocratie et aux droits humains basiques ».

Certes, ce coup d’éclat n’est que symbolique, mais il résume, en version radicale, un discours défendu par plusieurs investisseurs et associations, à l’occasion de l’assemblée générale du groupe : Mark Zuckerberg a trop de pouvoir, car il est à la fois PDG et président du conseil de surveillance (chairman of the board) et qu’il contrôle 58 % des droits de vote en tant qu’actionnaire. Quatre résolutions défendues par des actionnaires jeudi proposent ainsi de réduire la mainmise du fondateur de Facebook sur son groupe, ou d’instaurer des contre-pouvoirs dans sa gouvernance.

« Facebook fonctionne en gros comme une dictature »

Ce n’est pas la première fois que de telles propositions sont mises sur la table, et celles-ci ont peu de chance d’être votées, vu le pouvoir de M. Zuckerberg. Mais la pression exercée sur les dirigeants de Facebook continue d’augmenter, dans un contexte politique qui se tend pour l’entreprise.

L’un des textes soumis par un actionnaire au vote propose de ne plus confier la fonction de président du conseil de surveillance à Mark Zuckerberg mais de nommer à sa place un administrateur indépendant. « Google, Microsoft, Apple, Oracle et Twitter ont toutes séparé les fonctions de PDG et président du conseil de surveillance », argumente la résolution.

Une autre résolution suggère de changer le mode de scrutin d’élection des membres du conseil de surveillance. En adoptant le vote à la majorité, il y aurait davantage de chance que les actionnaires puissent rejeter la nomination d’un administrateur jugé pas assez indépendant, explique le texte, pour lequel « Facebook fonctionne en gros comme une dictature ».

Une proposition vise à annuler le mécanisme adopté en 2009 donnant à certaines actions des droits de vote supplémentaires, car celui-ci permet à Mark Zuckerberg de conserver une large majorité à l’assemblée générale, tout en étant un actionnaire minoritaire. En effet, Mark Zuckerberg ne possède « que » 13 % du capital de Facebook. « Sans égalité des droits de vote, les actionnaires ne peuvent pas mettre le management devant ses responsabilités », assure le texte.

De son côté, les dirigeants de Facebook défendent sa gouvernance, non sans noter au passage que ces critiques ne sont pas nouvelles. « Notre structure de capital contribue à notre stabilité et isole notre conseil de surveillance des pressions extérieures », écrit la direction du groupe :

« M. Zuckerberg se préoccupe de notre succès à long terme (…). Par exemple, nos récents efforts pour améliorer la sécurité de notre communauté ont nécessité des investissements importants, ce qui a eu des effets sur notre rentabilité. Ce niveau d’investissement n’aurait peut-être pas été possible si notre conseil de surveillance et notre PDG étaient concentrés sur les résultats à court terme. »

La direction de Facebook souligne aussi qu’elle a désigné au conseil une « directrice des administrateurs indépendants », Susan D. Desmond-Hellmann. Toutefois, la société de conseil aux investisseurs Glass, Lewis & Co. a suggéré de voter contre sa nomination, ainsi que celle de l’investisseur Marc Andreessen, a relevé l’agence Bloomberg. Son homologue ISS a aussi apporté une forme de soutien aux actionnaires protestataires en se prononçant contre le renouvellement au conseil de M. Andreessen, mais aussi contre celui de M. Zuckerberg, et de la numéro deux de Facebook, Sheryl Sandberg.

Appel au démantèlement de Facebook

Plus largement, l’assemblée générale 2019 reflète les polémiques qui encerclent Facebook depuis deux ans : fuites de données personnelles, comme le scandale Cambridge Analytica, interférences russes dans la campagne présidentielle 2016, propagation de fausses nouvelles, ou rôle des discours de haine dans les heurts au Myanmar sont autant de cas cités dans les résolutions d’actionnaires.

Le récent débat sur le « démantèlement » de Facebook, relancé par le cofondateur Chris Hugues dans une tribune, est lui aussi présent car un texte demande que Facebook sépare ses actifs comme Whatsapp et Instagram. « Aucune entreprise ne devrait détenir autant de pouvoir sur la société – avec aussi peu de surveillance – que Facebook », écrit SumOfUs dans un communiqué. Cette entreprise engagée pour « limiter le pouvoir des entreprises » a prévu de déployer à l’extérieur de l’assemblée générale un « émoji gonflable en colère », en signe de protestation.

L’appel au « démantèlement » fait écho à la croisade contre la « big tech » lancée dans sa campagne par la sénatrice américaine Elizabeth Warren, candidate à l’investiture du Parti démocrate pour la présidentielle 2020. Il rappelle aussi que la politique n’est jamais loin, alors que se profilent des échéances électorales majeures aux Etats-Unis. D’ailleurs, plusieurs associations et médias conservateurs ont appelé sur les réseaux à un rassemblement devant l’assemblée générale de Facebook, pour protester contre la « censure » des partisans de Donald Trump et des voix de droite sur le réseau social.

Affaire Cambridge Analytica : pourquoi c’est grave pour Facebook et ses utilisateurs
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