Benyamin Nétanyahou, lors d’une conférence de presse, à Jerusalem, le 30 mai. / Sebastian Scheiner / AP

Editorial du « Monde ». A peine sorti d’une campagne électorale violente, Israël va devoir subir un nouveau scrutin législatif, dès le 17 septembre. Cette répétition, qui ne peut qu’exaspérer une majorité d’Israéliens, a été décidée par Benyamin Nétanyahou en raison de son incapacité à former une coalition d’au moins 61 députés sur 120. La faute d’une vieille connaissance, l’ultranationaliste laïque Avigdor Lieberman, qui a refusé de s’associer à cette majorité, trop soumise, selon lui, aux rabbins ultraorthodoxes. Plutôt que de passer la main, le premier ministre a renversé la table. Son parti, le Likoud, l’a suivi en sabordant le Parlement.

Cette dissolution de la 21Knesset représente une crise majeure en Israël, dans laquelle les enquêtes judiciaires qui encerclent M. Nétanyahou ont joué un rôle déterminant. Sa fébrilité en est accentuée, autant que l’appétit de ses partenaires potentiels. M. Lieberman a perçu une ouverture politique pour fragiliser M. Nétanyahou et faire prospérer sa propre entreprise.

L’ancien ministre de la défense représente la communauté russophone, soit près d’un million de personnes. L’assimilation de cette population originaire de l’ancienne URSS, arrivée il y a trente ans, est une réussite exceptionnelle. Ce succès est aussi une menace à moyen terme pour M. Lieberman, car les enfants de ces immigrés, nés en Israël, passés par l’armée, sont avant tout des Israéliens. Ils ne se sentent plus forcément tenus par le vote communautaire de leurs aînés.

Le désir de vengeance de Lieberman

En faisant du projet de loi sur la conscription pour les ultraorthodoxes un motif de blocage politique, M. Lieberman satisfait un désir de vengeance contre M. Nétanyahou, tout en élargissant son public. Par ce calcul opportuniste, il compte attirer bien plus d’électeurs qu’en avril, en se posant en défenseur de l’égalité des citoyens devant la conscription, et en fixant des lignes rouges devant les partis ultraorthodoxes, très gâtés depuis cinq ans.

Cette crise s’inscrit dans le devenir incertain de la démocratie israélienne. Certes, le pluralisme et la diversité des médias y existent comme dans aucun autre pays de la région, mais ils ne sont pas les seuls critères de vitalité. L’ethnicisation de la politique s’impose, en rupture avec les racines d’Israël, soixante et onze ans après sa création. L’intolérance et les assauts contre l’Etat de droit n’ont jamais été aussi criants. La démocratie israélienne subit une érosion inquiétante, qui se manifeste dans des textes votés à la Knesset et dans un déplacement des limites rhétoriques de l’acceptable. Aujourd’hui, revendiquer l’annexion d’une partie de la Cisjordanie n’est plus le rêve emphatique d’une poignée d’extrémistes. C’est devenu un projet largement partagé à droite.

La majorité au pouvoir, surtout depuis cinq ans, a porté atteinte aux droits et à la dignité des minorités. M. Lieberman y a contribué, en présentant les citoyens arabes comme des êtres déloyaux. Elle a aussi organisé une sorte d’affrontement civil entre ses partisans, qui seraient de bons Israéliens préoccupés par la sécurité du pays, et les autres : les traîtres, les gauchistes, les médias, ou les ONG documentant l’occupation, un mot banni des discours publics. Chaque élection permet à ses citoyens de s’interroger sur la société qu’ils laisseront à leurs enfants. Puisse le scrutin du 17 septembre, caprice d’un dirigeant imbu de lui-même et redoutant sa propre déchéance, servir au moins à cela.