Une publicité pour Huawei au Caire, en Egypte, en août 2016. / Amr Abdallah Dalsh / REUTERS

Chronique. Chassé des Etats-Unis, où Donald Trump l’a placé sur la liste noire des entreprises mettant en danger la sécurité nationale, Huawei a trouvé en Afrique une terre d’accueil plus conciliante. Le géant chinois des télécoms vient ainsi de prolonger pour trois ans sa coopération avec l’Union africaine (UA), faisant de la marque au lotus rouge le partenaire principal de l’Afrique dans le domaine des nouvelles technologies et des télécoms.

Un accord surprenant, si l’on tient compte de deux éléments essentiels. D’abord la fragilité de Huawei, qui va devoir continuer ses opérations sans l’aide des sociétés américaines, qui n’ont plus le droit de lui fournir des composants et des applications comme celles proposées par Google sur les téléphones portables. L’entreprise se Shenzhen cherche des alternatives, mais pour l’instant, les utilisateurs de Huawei devront se passer du célèbre système Android.

Le deuxième élément touche à la sécurité des serveurs de l’UA. Quand Le Monde avait révélé, en 2018, que le siège de l’organisation panafricaine à Addis-Abeba avait pu être espionné par la Chine entre 2012 et 2017, l’intégralité du contenu des serveurs étant transféré à Shanghai, les regards se sont immédiatement tournés vers Huawei, dont les ingénieurs ont construit une partie des installations et du réseau de communication de l’UA. L’entreprise a toujours démenti ces accusations, affirmant que ses équipes n’ont pas accès au « data center » de l’UA et assurant qu’elle fournit des équipements aux « normes irréprochables ».

Rien ne permet de mettre directement en cause l’entreprise, mais Washington s’est appuyé en partie sur ces accusations pour bannir Huawei de ses marchés nationaux.

Intelligence artificielle et vidéosurveillance

L’UA ne semble en revanche pas douter de l’innocence du groupe chinois, puisque le protocole d’accord qui vient d’être signé place Huawei au cœur des nouveaux systèmes d’information et de communication en Afrique. Philippe Wang, le patron de Huawei en Afrique du Nord, espère que cet accord mettra un terme aux « rumeurs » d’espionnage et fera de Huawei « un partenaire stratégique » de l’Afrique.

Contrairement aux Etats-Unis, la grande majorité des Etats africains ont pris fait et cause pour la Chine. Huawei est installé depuis vingt ans en Afrique. Il a installé plus de 70 % des capacités 3G et 4G du continent dans 36 pays via une cinquantaine d’opérateurs. La poursuite de la collaboration de Huawei avec l’UA pour trois ans devrait permettre d’accélérer le processus de numérisation de l’économie africaine, notamment dans le secteur stratégique de la 5G et de l’intelligence artificielle.

Dans ce domaine, Huawei est déjà largement présent en Afrique, non seulement dans les télécoms mais aussi dans les réseaux fibrés et la vidéosurveillance. Des caméras pilotées par les serveurs de Huawei sont installées en Côte d’Ivoire, en Afrique du Sud, au Zimbabwe et au Kenya. Le système est le plus souvent couplé à des réseaux d’identification numérique gérés là encore par la marque au lotus. Rien évidemment ne peut permettre d’assurer que les données qui transitent via les serveurs de l’entreprise seront surveillées en dehors des réglementations locales africaines, mais les questions de cybersécurité doivent être prises au sérieux. La souveraineté numérique des pays africains est à ce prix.

Avec un budget de 10 millions de dollars (environ 9 millions d’euros) alloué à l’informatique, la cybersécurité de l’UA est une passoire qui ne compte que sur le soutien financier de la Banque mondiale et sur les technologies chinoises pour fonctionner.

La Chine experte dans le filtrage d’Internet

Mais les citoyens africains ont d’autres raisons de s’inquiéter, car l’espionnage n’est pas le seul danger qui pèse sur les réseaux. Il faut également prendre en compte la liberté de l’information et, dans ce domaine aussi, la Chine apporte son expertise et ses capacités de contrôle des réseaux.

Le pays commémore cette semaine le 30e anniversaire du massacre de Tiananmen. Or, dans les médias chinois contrôlés par l’Etat comme sur Internet, rien ne filtre sur les milliers de morts du 4 juin 1989. La Chine est experte dans le filtrage d’Internet. Certains pays africains pourraient avoir la tentation de faire de même. Rien qu’en avril, cinq pays ont temporairement coupé l’accès à Internet. Il s’agit du Zimbabwe, du Cameroun, de la République démocratique du Congo (RDC), du Soudan et du Gabon.

Pékin pourrait aussi être tenté de contrôler ce que les réseaux africains disent d’elle. Récemment, un producteur français nous racontait que son documentaire consacré au Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo (mort en 2017), qui revient largement sur les événements du 4 juin, a été refusé par toutes les télévisions africaines par peur de froisser la Chine.

Le contrôle de l’information, sur Internet comme dans les médias traditionnels, est un enjeu majeur de cette révolution numérique qui se joue en ce moment en Afrique. Des entreprises aussi puissantes que Huawei ne doivent pas seulement fournir des équipements de qualité à des prix bas, mais aussi la garantie que ces technologies seront utilisées librement et sans risque d’être surveillées. Une gageure sans doute.

Un accès insuffisant à l’Internet mobile

L’Afrique est le continent le moins avancé en termes de nouvelles technologies et la Chine a pris une sérieuse longueur d’avance dans le développement des réseaux numériques. S’il n’est pas question pour l’Afrique de prendre position dans la guerre commerciale qui oppose Pékin et Washington, elle ne doit pas non plus écarter les risques d’avoir un monopole chinois dans ce secteur.

La réponse doit venir à la fois des législateurs africains et des partenaires étrangers. Nokia, Ericsson, Samsung, Cisco… Eux aussi doivent proposer au continent des solutions clés en main pour l’accès à l’Internet fixe et mobile à des tarifs adaptés aux marchés locaux. Les premiers réseaux 5G sont déjà testés en Afrique du Sud, au Lesotho et en Algérie, mais la route est encore longue. En Afrique subsaharienne, seulement 21 % de la population est couverte par un réseau télécoms connecté, et l’accès reste parmi les plus chers au monde. Dans la guerre froide du numérique qui oppose la Chine et les Etats-Unis, l’Afrique doit faire les bons choix.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.