Des drapeaux américains et anglais flottent devant le Buckingham Palace, le 2 juin, à Londres. / DAVID MIRZOEFF / AP

A en croire Donald Trump, le Brexit serait une affaire classée depuis bien longtemps si Theresa May avait suivi ses conseils. « Je lui ai dit comment faire, mais elle ne m’a pas écouté », avait-il déclaré en juillet 2018, lors d’une première visite au Royaume-Uni au cours de laquelle il ne lui avait épargné aucune humiliation.

Lundi 3 juin, le président américain commencera au palais de Buckingham une visite d’Etat de trois jours avant de participer aux cérémonies commémorant le Débarquement allié en Normandie. Il n’a changé ni d’avis ni de méthode. Piétinant tous les usages diplomatiques, Donald Trump fait de nouveau irruption dans la vie politique britannique avec la même extrême finesse. Ouvertement, il fait cette fois la promotion du « no deal », la rupture radicale avec l’Union européenne (UE).

Selon le président, Theresa May a négocié la sortie de l’UE en dépit du bon sens : les Européens « n’avaient rien à perdre » car elle leur a « laissé toutes les cartes » en main, a-t-il estimé dans un entretien au Sunday Times du dimanche 2 juin.

Non content d’enfoncer une première ministre démissionnaire dont il va être l’hôte, Donald Trump adoube celui qui n’a cessé de lui planter des banderilles et fait figure de favori pour sa succession, Boris Johnson. Un « ami » qui « ferait du très bon travail », a-t-il insisté dans une autre interview accordée la veille au tabloïd The Sun. Il avait adressé un compliment similaire en 2018, mais cette fois, l’ancien ministre britannique des affaires étrangères est lancé à fond dans la course à la succession qui doit aboutir à désigner d’ici à la fin juillet un nouveau chef du gouvernement.

Provocation

M. Johnson, qui a eu la nationalité américaine jusqu’à ce qu’il y renonce en 2017, est idéologiquement proche de M. Trump. Ultralibéral, il promet un redéploiement planétaire au Royaume-Uni et un « no deal » avec l’UE compensé par des accords de libre-échange notamment avec Washington. Un accord que Donald Trump lui promet « très rapidement » mais qui contrevient au maintien transitoire dans l’UE accepté par Theresa May.

Comme si sa bénédiction à M. Johnson ne suffisait pas, le président américain gratifie un futur premier ministre britannique de ses conseils pour une négociation que l’UE considère en réalité comme close. « Si [les Britanniques] n’obtiennent pas l’accord qu’ils souhaitent, [à leur place], je quitterais » la table des négociations, déclare-t-il encore au Sunday Times.

En outre, alors que Theresa May s’est engagée à acquitter la somme correspondant aux engagements budgétaires pris par Londres à l’égard de l’UE, M. Trump poursuit : « Si j’étais eux, je ne paierais pas 50 milliards de dollars [45 milliards d’euros]. C’est un chiffre énorme. »

Ultime provocation, le visiteur estime que le gouvernement britannique a commis « une erreur » en n’associant pas aux négociations de Bruxelles Nigel Farage, leader du Parti du Brexit (extrême droite), vainqueur des élections européennes et en tête des intentions de vote pour d’éventuelles législatives. « J’aime beaucoup Nigel. Il a beaucoup à offrir », estime-t-il. « Il est très astucieux » et permettrait à Londres de « réussir » à Bruxelles. En réalité, M. Farage se présente comme le champion du « no deal », la sortie de l’UE sans accord considérée comme dévastatrice à court terme pour le pays, et M. Johnson lui emboîte le pas.

Impasse totale

Politiquement, la visite fracassante de M. Trump a lieu au pire moment de faiblesse des autorités britanniques. Theresa May qui doit s’entretenir avec lui, mardi 4 juin, n’est plus véritablement aux commandes du pays puisqu’elle a promis de démissionner le 7. Trois ans après le référendum sur le Brexit, le Royaume-Uni est dans une impasse totale et son système politique se trouve menacé à la fois par la polarisation sur le Brexit, qui divise autant les tories que le Labour, et par la montée du parti de M. Farage.

Alors que l’influence du Royaume-Uni est liée à sa capacité de servir de passerelle entre l’Europe et les Etats-Unis, le Brexit et les choix diplomatiques de M. Trump que Londres ne partage ni sur le climat, ni sur l’Iran, ni sur le Proche-Orient, l’isolent.

Le successeur de Theresa May cèdera-t-il aux sirènes du président américain qui enjoint Londres à couper les ponts avec l’UE pour renforcer ses liens avec les Etats-Unis en négociant un accord commercial ?

« En redevenant indépendante [grâce au Brexit], la Grande-Bretagne peut encore élargir son influence sur le monde », a fait miroiter John Bolton, conseiller de Donald Trump pour la sécurité nationale. La visite à Londres sera l’occasion de pressions pour faire renoncer les Britanniques à leur décision de braver les Américains en autorisant la firme chinoise Huawei à participer au déploiement de la 5G. Dans le Sunday Times, M. Trump menace Londres de cesser le partage privilégié de renseignements sur la sécurité s’ils persistaient.

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La reine en a vu d’autres

Les fastes que la monarchie britannique sait réserver aux chefs d’Etat seront déployés en l’honneur de M. Trump : déjeuner avec la reine et le prince Harry (mais sans Meghan Markle qui a autrefois qualifié le président américain de « misogyne » et a pris prétexte de sa maternité pour décliner) ; banquet royal avec la reine, le prince Charles et Camilla, William et Kate mais sans Jeremy Corbyn, chef du Labour qui boycotte et soutient les appels à manifester mardi contre le locataire de la Maison Blanche.

Elizabeth II, 93 ans, chef d’Etat, elle, ne se dérobera pas alors que son pays est dans la tourmente. La reine en a vu d’autres, elle qui a rencontré les douze présidents américains – sauf Lyndon Johnson – qui se sont succédé pendant ses soixante-sept ans de règne.

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