Après les européennes et plus de six mois de mobilisation des « gilets jaunes », l’exécutif remet au premier plan un dossier qu’il avait entrouvert à la fin de l’été 2018 : celui du revenu universel d’activité (RUA). Lundi 3 juin, le coup d’envoi d’une concertation sur ce dispositif devait être donné à Paris, en présence de plusieurs membres du gouvernement, dont Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et de Christelle Dubos, la secrétaire d’Etat chargée de piloter ce projet visant à fusionner plusieurs prestations sociales. Un chantier qui s’annonce compliqué à mener à son terme, aussi bien d’un point de vue technique que politique.

« La réforme s’inscrit dans le calendrier fixé en septembre par le président de la République, mais également dans le cadre de la sortie du grand débat. Nous avons entendu des Français attachés au système de solidarité, mais qui demandent plus de simplification et de lisibilité », indique Mme Dubos au Monde.

Le processus lancé lundi associera des personnalités issues d’horizons multiples : associations (lutte contre la pauvreté, personnes handicapées, jeunesse), collectivités territoriales – les départements notamment –, secteur du logement, partenaires sociaux. Le but est de délimiter le périmètre de cette nouvelle allocation, qui devrait faire l’objet d’un projet de loi en 2020.

La mesure avait été annoncée, le 13 septembre 2018, par Emmanuel Macron, à l’occasion de la présentation de sa stratégie de lutte contre la pauvreté. Le RUA, avait-il expliqué, regroupera « le plus grand nombre de prestations sociales, du RSA [revenu de solidarité active] aux APL [aides personnalisées au logement] » et sera assorti de « droits et devoirs supplémentaires ». Les allocataires bénéficieront d’un accompagnement renforcé grâce à la mise en place d’un « service public de l’insertion » dont l’Etat sera « responsable » ; ils seront tenus de s’engager dans un « parcours d’insertion » qui « empêche de refuser plus de deux offres raisonnables d’emploi ou d’activité ».

« Cadre budgétaire constant »

Depuis, ces orientations ont été confirmées par Mme Dubos : celle-ci a redit en mars que le RUA mêlerait, au moins, le RSA, les APL et la prime d’activité. En comptant les conjoints et les enfants, quelque 7 millions de personnes sont aujourd’hui couvertes par les minimas sociaux. Presque le double si on y intègre ceux qui perçoivent les APL. Le gouvernement, qui juge le système « complexe, inéquitable et insuffisamment lisible », entend y mettre de l’ordre. D’autant que le taux de non-recours peut être important : selon le ministère des solidarités, environ un tiers des bénéficiaires potentiels du RSA ne le demandent pas. Lutter contre ce phénomène est aussi l’un des objectifs de ce projet.

« Ce n’est pas une réforme pour réaliser des économies, tient à préciser Mme Dubos. Elle se fera dans un cadre budgétaire constant. » S’il se confirme que l’effort financier reste, à terme, inchangé, les associations risquent de mal le prendre. Depuis des mois, elles répètent que la refonte des prestations sociales sans un euro supplémentaire se traduira nécessairement par des « perdants », car cela reviendra à redistribuer différemment une enveloppe d’un même montant – en donnant plus aux uns et moins aux autres. « Nous avons besoin d’un affichage consistant à dire qu’il n’y aura pas de perdants chez les plus pauvres et que la réforme aura un coût », confie Christophe Devys, président du collectif Alerte, qui regroupe plusieurs organisations et mouvements de solidarité.

Autre sujet susceptible de provoquer des étincelles : les APL. Le fait de les fondre dans le futur RUA préoccupe au plus haut point le monde associatif. Comme le rappelle Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité, les APL ne sont pas un minimum social, mais une aide à l’accès ou au maintien dans un logement. En outre, le risque est grand qu’en les incluant dans le dispositif en cours de construction, elles soient recentrées sur les personnes en bas de l’échelle des revenus, au détriment des « classes moyennes inférieures » qui les perçoivent, à l’heure actuelle. Elles feront en tout cas l’objet d’une attention particulière dans le cadre d’un « collège spécifique ». « Il n’est pas question de diminuer leur montant ni leur efficacité, souligne Mme Dubos. Nous écoutons les inquiétudes des associations, et la concertation devra prendre en compte toutes les situations de nos concitoyens. Par exemple, avec un supplément logement qui permette de subvenir aux frais pour se loger. »

Changement de méthode

Quant aux aides destinées aux personnes handicapées, la secrétaire d’Etat reconnaît que c’est une thématique « sensible ». « Elle sera posée sur la table de la concertation, là aussi dans le cadre d’un collège spécifique, poursuit Mme Dubos. Je voudrais rassurer aussi bien l’ensemble des acteurs du secteur que les personnes handicapées : le budget de l’Etat actuellement consacré à l’AAH [allocation adulte handicapé] restera fléché sur la question du handicap. »

Enfin, le RSA sera placé « au cœur des réflexions », et les départements, qui en assurent le financement, seront « particulièrement associés aux évolutions » qui se dessinent. Une façon d’afficher un changement de méthode après des mois de friction au début du quinquennat avec les collectivités territoriales. Vice-président de l’Assemblée des départements de France, chargé de la commission solidarité et affaires sociales, Frédéric Bierry considère que « ça a du sens de vouloir remettre à plat » les prestations sociales, notamment le RSA, celui-ci n’ayant « pas permis de sortir durablement de la précarité », même s’il a pu « limiter la casse ». Il souhaite maintenant que le gouvernement accorde de l’intérêt aux « démarches engagées par les territoires » afin que les publics concernés bénéficient d’un « accompagnement global » renforcé vers un emploi ou vers une activité.

Les travaux devraient se terminer fin 2019 par un rapport présenté au premier ministre. Mme Dubos sera épaulée par Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, et Fabrice Lenglart, rapporteur général de la réforme.