Michel Platini, en juin 2011 à Zurich (Suisse). / AFP/Sebastian Derungs

La dernière fois que Michel Platini a rencontré plusieurs médias européens, c’était « il y a trois ans et neuf mois à Monaco », en août 2015. A l’époque, le président de l’Union des associations européennes de football (UEFA) venait de présenter sa candidature à la présidence de la Fédération internationale de football (FIFA).

Depuis, l’ex-numéro 10 des Bleus a vu ses ambitions foudroyées : il a été suspendu quatre ans par les instances disciplinaires de la FIFA dans l’affaire du paiement de deux millions de francs suisses que lui a fait, en 2011, Sepp Blatter, l’ex-patron du football mondial. Et a vu son secrétaire général Gianni Infantino (2009-2016) le remplacer au pied levé, et être élu, en février 2016, à la présidence de la FIFA.

Lundi 3 juin, à l’hôtel Pullman Tour Eiffel à Paris, M. Platini a échangé avec une poignée de médias européens (France, Suisse, Italie, Angleterre, Espagne, Portugal), dont Le Monde, deux jours avant la tenue à Paris du 69e congrès de la FIFA, lors duquel M. Infantino est l’unique candidat à sa succession. Radié jusqu’en octobre, l’ancien capitaine de l’équipe de France en a profité pour régler ses comptes avec son ex-bras droit.

« Il a été un très bon secrétaire général de l’UEFA mais comment quelqu’un qui a vomi pendant dix ans sur la FIFA, tous les jours, peut se retrouver président de la FIFA ? J’ai donc été surpris de le voir se présenter à la présidence, a glissé le Français, 63 ans, enclin à décocher ses flèches. Comment quelqu’un qui critique le football féminin, s’en moque systématiquement et n’y croit pas, n’aime pas voir les filles jouer, peut-il faire la promotion du Mondial de football féminin [organisé en France du 7 juin au 7 juillet] ? »

« Je n’ai jamais été pour Infantino comme président »

« Pour moi, il n’est pas crédible comme président de la FIFA, et n’a aucune légitimité pour représenter le foot, insiste M. Platini. Ce n’est pas parce que tu as tiré les boules [lors des tirages au sort] que tu peux représenter la FIFA. » Avant d’enfoncer le clou : « Mais comme secrétaire général, c’est un très bon juriste, il aurait été parfait. Dans ces élections de 2016, je voulais Salman [Al-khalifa, patron de la Confédération asiatique de football] comme président et Infantino comme secrétaire général, je n’ai jamais été pour Infantino comme président. Gianni Infantino est l’homme clé qui a changé les statuts de la FIFA, en vertu desquels le secrétaire général a tous les pouvoirs. Je me demandais pourquoi il voulait être président… Le connaissant, il voulait son bonus spécial… »

Tout en reconnaissant que M. Infantino est venu le voir en octobre 2015, au début de sa suspension, pour lui annoncer sa candidature à la FIFA, M. Platini « n’imagine pas que, avec tout ce qu’(il) a fait pour (lui), il ait eu un comportement désobligeant envers (lui) ». Fragilisé par ses rencontres informelles et secrètes avec le procureur fédéral suisse Michael Lauber, en charge des enquêtes du « FIFAgate », M. Infantino a-t-il été mis au courant du paiement des deux millions de francs suisses avant l’ouverture de la procédure pénale contre M. Blatter en septembre 2015 ?

« Je me demandais pourquoi il voulait être président… Le connaissant, il voulait son bonus spécial…  »

« On m’a dit qu’il y avait eu un rendez-vous en juillet 2015 avec Lauber, ce qui laisse supputer beaucoup de choses, mais je n’ai aucune preuve et je n’en sais rien. Je n’imagine pas qu’il ait su avant, confie M. Platini. Quand il a été président, il a tout pour fait pour que je ne revienne pas. Il aurait pu faire lever la suspension du comité d’éthique – qu’il a lui-même nommé – à partir du moment où le parquet suisse m’a blanchi (en mai 2018). Comme par hasard, je suis suspendu quatre mois après les élections. »

« Mon histoire s’apparente aux Dix petits nègres »

La dernière fois que M. Platini et M. Infantino ont échangé, c’était en septembre 2016, lors du congrès de l’UEFA à Athènes, lors des adieux du Français. « On a pris le même avion, il a voulu me serrer la main, je lui ai demandé : Toi, tu me sers la main ? », raconte le Triple Ballon d’or (1983, 1984, 1985).

Sur le bilan de M. Infantino, l’ex-président de l’UEFA estime « qu’il aurait dû davantage essayer l’assistance à l’arbitrage vidéo, qui tue la philosophie et l’esprit du foot » au lieu de la mettre en place lors de la Coupe du monde 2018, en Russie. Sur l’extension du format du Mondial de 32 à 48 formations (qui ne devrait s’appliquer qu’à partir de l’édition 2026), décidée par le président de la FIFA, le Français assure que, s’il avait été élu, « il aurait pensé à augmenter le nombre d’équipes mais aurait attendu après la Coupe du monde en Russie pour le faire ». « Mais au vu du niveau pas très bon en Russie, je ne l’aurais pas fait », ajoute-t-il.

M. Platini a profité de sa présence à Paris pour faire un point sur les procédures qui le concernent (une plainte contre X en France pour « association de malfaiteurs en vue de commettre le délit de dénonciation calomnieuse », deux plaintes en Suisse contre André Marty, le porte-parole du parquet suisse, et Andreas Bantel, ex-porte-parole de la chambre d’instruction du comité d’éthique de la FIFA) et son recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg.

« Beaucoup de choses se passent en ce moment entre la FIFA, le parquet suisse et tous ces juristes suisses, italiens, allemands. Il y a l’air d’avoir une belle famille-là-dedans, de gens qui ne voulaient pas que je sois président de la FIFA, ironise M. Platini. Mon histoire s’apparente aux Dix petits nègres d’Agatha Christie : tout le monde a mis son coup de couteau au moment où il fallait le mettre pour ne pas que je sois président de la FIFA, et il y a des liens entre les dix petits nègres. »

« Je ne me suis jamais senti banni »

Pour M. Platini, le « complot vient de Suisse » et c’est M. Blatter, son ancien allié, qui a créé une mauvaise atmosphère autour de « lui », à partir de 2013, car il voulait « mourir à la FIFA ». « Blatter a dit : tout le monde sauf Platini. Et donc son administration a voulu me tuer », développe le Français. « La FIFA a sa justice à elle et en profite politiquement. Regardez qui le comité d’éthique de la FIFA a suspendu : Ben Hammam, Platini, Mayne-Nicholls, Chung Mong-Joon, que des gens qui voulaient devenir président de la FIFA. Je ne veux rien lâcher dans mes procédures : 150 présidents de fédérations nationales voulaient que je devienne président et, au final, trois administratifs de la FIFA veulent me tuer et gagnent. »

« Je veux être blanchi et que ceux qui m’ont fait du mal paient »

En octobre, après la levée de sa suspension, M. Platini veut « faire quelque chose dans le football » mais ignore encore quoi. « Je ne vais pas être content de ne plus être banni car je ne me suis jamais senti banni, explique-t-il. Pour le monde officiel du foot, je reviens en grâce. Mais qui sait si la FIFA ne va pas trouver une loi qui dira que les gens bannis plus de trois ans ne peuvent plus se présenter à des fonctions. Cela ne m’étonnerait pas. » « Je veux être blanchi et que ceux qui m’ont fait du mal paient », conclut l’ex-président de l’UEFA.

Hasard ou coïncidence, quelques heures avant la prise de parole de M. Platini, Gianni Infantino a décidé de ne pas échanger avec les journalistes lors de la « zone mixte » organisée lundi après-midi, après la réunion du « Conseil » (gouvernement) de la FIFA.