Tribunal du district de Karkh, à Bagdad le 29 mai. / SABAH ARAR / AFP

Editorial du « Monde ». Les condamnations à mort par des tribunaux irakiens, ces derniers jours, de onze djihadistes français transférés à Bagdad depuis le Kurdistan syrien embarrassent Paris. Le président Emmanuel Macron plaide pour une abolition mondiale de la peine capitale – il en fait même une cause symbolique. Or, même s’ils ont rejoint les rangs de l’organisation Etat Islamique (EI) et pris les armes contre leur propre pays, ces jeunes restent français.

Traditionnellement, les autorités nationales se démènent pour rapatrier leurs ressortissants condamnés à mort ou sauver leur tête quand il s’agit de trafic de drogue ou d’autres forfaits de droit commun. Aucun citoyen français ne peut être extradé vers un pays où il risque la peine capitale. Sur ce dossier hautement sensible, la France, non sans hypocrisie, fait le choix de se défausser sur l’Irak en lui laissant la gestion pénale de ses ressortissants, plutôt que d’affronter les risques sécuritaires de leur rapatriement.

L’Elysée, comme le Quai d’Orsay, assure n’avoir aucune responsabilité dans les transferts décidés entre les Kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS) et les services secrets irakiens. Il est néanmoins difficile de croire que cela ait pu se faire à l’insu de Paris, qui dispose d’un réel pouvoir d’influence au Kurdistan syrien, où les forces spéciales françaises ont participé à la formation des FDS aux côtés des Américains. Nul ne pouvait imaginer que les juges irakiens renoncent aux peines capitales réclamées par une population qui a subi des années de guerre et de terreur. Même si le nombre de pendaisons a baissé en 2018 (52 contre 125 l’année précédente), l’Irak n’en figure pas moins dans le peloton de tête des pays ayant recours à la peine de mort.

Longtemps, Paris a préféré éluder

Le ministère des affaires étrangères français s’active auprès de Bagdad pour que ces peines de mort ne soient pas appliquées. Du fait des bonnes relations entre les deux pays, ce point de vue sera pris en compte, à la faveur, sans doute, des procédures d’appel. Des jeunes Français n’en vont pas moins demeurer dans les couloirs de la mort sans que Paris, au-delà de la protection consulaire, notamment sur la régularité du procès et les conditions de détention, veuille et puisse faire grand-chose pour les en sortir. Dans une tribune rendue publique lundi 3 juin, une quarantaine d’avocats français ont dénoncé « un immense déshonneur » – sans pour autant proposer de solution.

Le sort des quelque 450 combattants français de l’EI, dont la dangerosité n’est pas à démontrer, est un casse-tête sécuritaire, juridique et politique. Longtemps, Paris a préféré l’éluder, un certain nombre de djihadistes ayant été éliminés dans les combats ou par des drones. Pour les prisonniers, le principe, déjà affirmé par François Hollande, était que les adultes, hommes ou femmes, soient jugés sur place. Pour ceux qui ont combattu en Irak, cela ne pose pas de problème juridique, au-delà du caractère expéditif des procédures et de l’existence de la peine capitale. Pour ceux détenus par les forces kurdes syriennes, la confusion est totale : le Kurdistan syrien n’est pas un Etat.

Afin de sortir de cette impasse, Paris, comme Londres et Berlin, réfléchit à la mise sur pied d’un mécanisme judiciaire international installé en Irak, dont les statuts excluraient la peine capitale. Sa mise en œuvre s’annonce longue et complexe. D’ici là, de jeunes Français courent le risque, au moins théorique, d’être exécutés, même si, jusqu’ici, l’Irak n’a pendu aucun djihadiste étranger.