Arte, mardi 4 juin à 20 h 50, soirée spéciale

S’ils regardent Arte mardi 4 juin, les diplomates chinois en poste en Europe risquent de passer une bien mauvaise soirée. La chaîne revient en effet longuement sur les événements de la place Tiananmen qui ont ébranlé le pouvoir chinois au printemps 1989, jusqu’au massacre du 4 juin.

Les deux premiers documentaires, réalisés par Ian MacMillan et Audrey Maurion, retracent ce « printemps de Pékin ». Le premier porte sur le soulèvement populaire de la mi-avril à la mi-mai, le second sur l’engrenage qui conduit au bain de sang du 4 juin. Le troisième, réalisé par Pierre Haski, est un portrait du dissident Liu Xiaobo. Les trois sont passionnants et parfaitement complémentaires.

Grâce à de nombreuses images d’archives et à plusieurs témoignages des principaux leaders du mouvement, les deux premiers films rappellent ce que l’on a souvent oublié. C’est pour rendre hommage à Hu Yaobang, un ancien secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) mort le 15 avril 1989, que les étudiants ont commencé à quitter leurs campus. Perçu comme honnête et réformateur, cet homme avait été, en raison de ses qualités, mis à l’écart par ses pairs deux ans plus tôt. Loin de vouloir renverser le parti, les étudiants attendaient de celui-ci qu’il se modernise, à l’image d’une société chinoise qui, grâce à Deng Xiaoping, oubliait peu à peu la Révolution culturelle (1966-1976) et s’ouvrait sur le monde.

Deng, évidemment, est l’un des principaux protagonistes du film. Alors que ce petit homme au regard pétillant d’intelligence continue d’être vu dans le monde comme le père de la Chine moderne – ce qu’il est en effet –, le deuxième documentaire s’attarde sur l’autre facette du personnage. En 1989, Deng n’avait plus aucune fonction officielle dans le parti. Il n’était que président de la Commission militaire centrale. A ce titre, il ne faisait, en principe, pas le poids face au réformiste Zhao Ziyang, le secrétaire général du PCC. Mais, par un véritable coup d’Etat interne dont nul ne s’est vraiment rendu compte à l’époque, Deng, chef des armées, est parvenu à marginaliser puis à écarter le réformiste Zhao Ziyang afin d’instaurer la loi martiale. L’armée n’était plus aux ordres du parti mais le parti aux ordres de celle-ci.

Créer un traumatisme

Une des images les plus fortes du documentaire reste celle de Zhao Ziyang, en pleurs, lorsqu’il tente de convaincre, fin mai, les étudiants de rentrer chez eux. Favorable à une partie de leurs revendications, il sait qu’il a perdu la partie et que le bain de sang est inévitable. Les leaders étudiants le savent tout autant, mais sont dépassés par un mouvement qui désormais s’étend à tout le pays et à toutes les catégories sociales.

Alors que début mai certains militaires, issus de Pékin, avaient fraternisé avec les étudiants, Deng fait cette fois venir des soldats de tout le pays. Ils n’ont ni matraques ni lances à eau. Seulement des balles réelles. Le massacre est non seulement inévitable, il est, aux yeux de Deng, nécessaire pour créer un traumatisme dans tout le pays durant plusieurs décennies.

Heureusement, il y a toujours des héros. Comme cet homme à la chemise blanche qui fait face aux chars le 5 juin au matin et dont on ne sait toujours rien. Comme Liu Xiaobo aussi, bien sûr. Dans le deuxième documentaire, on voit rapidement ce jeune enseignant faire une grève de la faim sur la place Tiananmen.

Dans le film de Pierre Haski, on le retrouve dix-neuf ans plus tard, dans un café de la banlieue de Pékin. Il fume cigarette sur cigarette comme si chacune était la dernière. Et de fait, en ce printemps 2008, cet homme qui a refusé d’être libéré de prison et d’être extradé aux Etats-Unis à la fin des années 1990 prépare un coup d’éclat dont il connaît les conséquences. Il rédige dans le plus grand secret la Charte 08 appelant à une Chine démocratique ; 303 intellectuels la signeront.

La suite de l’histoire est connue. Liu Xiaobo sera arrêté en décembre 2008, ne saura même pas en décembre 2010 qu’il a obtenu le prix Nobel de la paix et qu’à Oslo sa chaise de récipiendaire est restée vide. Atteint d’un cancer, il mourra en prison en juillet 2017. Il se trouve que Pierre Haski, ancien correspondant du journal Libération en Chine, l’avait longuement rencontré en 2008 et qu’une partie de l’interview n’avait pas été utilisée. Ce documentaire est donc un document d’archives précieux qui montre cet homme qui, en 2008, semble avoir atteint la sérénité du Juste. Il sait que sa vie va être un enfer mais qu’il est du bon côté de l’histoire.

Du côté de ceux qui ne se mentent pas. Pierre Haski donne également la parole à celles et ceux qui l’ont accompagné durant toutes ces années. Comme le poète Bei Ling, le leader de Tiananmen Wang Dan et bien entendu son épouse Liu Xia, réfugiée à Berlin grâce à la ténacité d’Angela Merkel. Aujourd’hui président de Reporters sans frontières, Pierre Haski ne s’est pas déplacé seul. Aux côtés de chaque témoin interrogé, une chaise noire, vide, rappelle l’absence de Liu Xiaobo, Prix Nobel de la paix mort en prison.

Tiananmen, réalisé par Ian MacMillan et Audrey Maurion (Fr.-RU-EU, 2019, 110 min), 1 et 2/2. Liu Xiaobo, l’homme qui a défié Pékin, réalisé par Pierre Haski (Fr., 2019, 55 min). www.arte.tv/tiananmen-1-2