ANNA WANDA GOGUSEY

Il est partout, dans nos vêtements, nos poches, sur nos bureaux et nos maisons. Il allège et renforce nos voitures, les trains et les avions. Il est le Kevlar qui protège le soldat, la lentille qui vous permet de lire ces mots, la prothèse qui soulagera un handicap. Il est aussi les pailles, les sacs, les gobelets, les filtres de cigarettes qui polluent plages et océans. Le plastique est indispensable et omniprésent.

La matière n’a pourtant pas le vent en poupe. Le 21 mai, le Conseil européen a adopté une directive interdisant l’utilisation de produits plastiques jetables au sein de l’Union d’ici à 2021. Quelques jours plus tôt, le 6 mai, c’était Emmanuel Macron qui fixait un autre objectif : parvenir à 100 % de plastiques recyclés en 2025. Vœux pieux ou bon sens, les écoles françaises de la plasturgie sont-elles en mesure de former techniciens et ingénieurs aux changements exigés par le pouvoir politique ?

« Ce que demande le président Macron, cela fait dix ans que l’industrie travaille dessus », pointe, dans un haussement d’épaules, Laurent Cauret, enseignant-chercheur à l’Institut supérieur de plasturgie d’Alençon (ISPA). Depuis 2006, le recyclage des matières plastiques ne cesse d’augmenter, passant de 4,7 millions de tonnes à 8,4 en 2016, selon PlasticsEurope, association européenne de producteurs de plastique. Toutefois, la France est bien en queue de peloton européen, le taux de recyclage des déchets d’emballages plastique dans l’Hexagone plafonne à 26,2 %, bien en dessous du taux moyen européen, qui s’établit à près de 41 %, et loin derrière la République tchèque, l’Allemagne ou la Hollande, dont les taux avoisinent 50 %.

« Il y a si peu de candidats que le travail est assuré à l’issue de notre formation », Camille Galea-Deron, 19 ans, en BTS de plasturgie

« Il faut que les organismes de formation fassent évoluer leur offre », estime Florence Bonnet-Touré, déléguée générale adjointe de la Fédération de la plasturgie. Mais pas tant sur la technicité de leurs offres de formation que sur l’image que renvoie le secteur. En effet, alors que la filière emploie en France 230 000 salariés dans 5 000 entreprises, et recrute, les candidats ne se bousculent pas.

« Nous avons des promotions de 65 étudiants, alors que nous pourrions en accueillir le double », expose Jean-Yves Charmeau, directeur du site plasturgie de l’école d’ingénieurs INSA à Oyonnax (Ain). Pas de chômage en plasturgie, « c’est la première chose que mes professeurs ont affirmée lorsque nous sommes arrivés en classe de seconde professionnelle : il y a si peu de candidats que le travail est assuré à l’issue de notre formation », témoigne Camille Galea-Deron, 19 ans, en BTS de plasturgie.

Les diplômés, du BTS au master 2, signent régulièrement des promesses d’embauche avant même d’avoir obtenu leur diplôme. « Les formations sont pointues et en lien avec les besoins de l’entreprise », témoigne Hervé Vion Delphin, industriel et fondateur de Broplast, société spécialisée dans le traitement des déchets de matières plastiques. « Toutefois, des progrès sont à réaliser dans le domaine du recyclage du thermoplastique, des têtes de pont doivent être créées entre enseignement et industrie », poursuit l’entrepreneur.

« Nous ne modifierons pas nos programmes, répond Alain Schmitt, directeur de l’école Mines-Télécom, qui délivre notamment un diplôme d’ingénieur en plasturgie et matériaux composites. Nous sommes en phase avec les besoins de l’industrie et l’écologie est une préoccupation forte et de longue date. » Même discours au sein de l’ISPA : « Notre école s’est lancée en 2016 dans un profond mouvement de mutation sur sa manière d’enseigner les matières plastiques », poursuit Franck Steunou, directeur de l’établissement. Idem au sein de l’INSA plasturgie d’Oyonnax : « Dans tous les cours de mécanique des fluides, du solide, dans les cours de procédés est intégré le problème de l’économie circulaire et donc du recyclage du matériau », abonde Jean-Yves Charmeau.

« La profession a clairement compris qu’elle est montrée du doigt comme étant à l’origine des pires maux de la planète », Alain Schmitt, directeur de l’école Mines-Télécom

L’utilisation et la transformation de matériaux biosourcés, recyclables, seraient donc déjà au programme des futurs ingénieurs et techniciens de la plasturgie. « L’industrie demande à avoir des jeunes immédiatement opérationnels dans leur métier, mais également avec un potentiel d’évolution en fonction des nouveaux besoins, des nouvelles normes », souligne Franck Steunou. Polyvalents et adaptables à des nouveaux procédés plus respectueux de l’environnement. Ou pas.

Les campagnes médiatiques relayant les multiples pollutions liées au plastique ont durablement abîmé l’image du secteur. « La profession a clairement compris qu’elle est montrée du doigt comme étant à l’origine des pires maux de la planète », admet Alain Schmitt. « Les matières plastiques n’ont pas à se retrouver dans la nature, dans les océans. La première question est : que font-elles là, alors qu’il existe des filières de recyclage ? », souligne Jean-Yves Charmeau, de l’INSA. Les circuits pour récupérer, trier, régénérer la matière existent, « mais ces opérations coûtent énormément, et la matière recyclée est en concurrence avec l’industrie pétrochimique, qui dispose d’une ressource abondante et peu chère », poursuit l’enseignant. Entre un plastique vierge à bas coût et un matériau recyclé onéreux, la logique économique l’emporte. Les projets d’économie circulaire peuvent être étudiés au sein des écoles, leur application pour parvenir à 100 % de plastique recyclé semble lointaine.

Côté étudiants, l’impact environnemental de leurs futurs métiers inquiète. Sur les salons, lorsque les établissements chassent les talents qui rempliront leurs ateliers, laboratoires et salles de classe, « les jeunes nous interrogent pour savoir si la question du recyclage est partie intégrante de nos programmes. Ils ont une conscience environnementale et une sensibilité qui n’apparaissaient pas il y a seulement dix ans », mesure Franck Steunou. Un constat qui s’est traduit lors des élections européennes du 26 mai, où 25 % des 18-24 ans et 28 % des 25-34 ans ont choisi de voter pour la liste Europe Ecologie-Les Verts (EELV), selon l’enquête Ipsos-Sopra Steria.

« Les gens ont pris conscience de la pollution engendrée par les plastiques à usage unique. Mais le problème est que beaucoup généralisent, font des amagalmes, alors que ces matériaux ont aussi des propriétés extraordinaires, qui permettent d’améliorer notre vie quotidienne », analyse Maxime Leclerc, 22 ans, apprenti ingénieur. « Dans le secteur automobile, la matière plastique participe à réaliser des voitures plus résistantes et plus légères, en deux mots, plus propres », rappelle Jérémie Boulenger, 22 ans, élève de l’ISPA.

Quid des cours qui leur sont donnés ? Répondent-ils à leur appétence pour une industrie plus responsable ? Pour certains jeunes, les écoles n’en font pas assez. « Mis à part un cours sur les matériaux biosourcés, nous n’avons pas de cours sur ce sujet », regrette Alexandre Ben M’Rad-Leblond, 23 ans, apprenti ingénieur. « Les problématiques environnementales sont traitées dans chaque matière », répond un professeur. « L’école nous apprend à travailler sur des matériaux qui datent un peu. Les matériaux biodégradables, nous n’apprenons pas trop à les travailler », souligne Maxence Cochet, en BTS de plasturgie dans un établissement francilien. « Les programmes des BTS sont revus au rythme des rectorats, environ tous les cinq ans », rappelle un enseignant. Le temps de réactivité de l’éducation nationale n’est pas celui du marché.

Est-ce que l’objectif présidentiel est réalisable ? « Dire que, en 2025, tous les plastiques seront recyclés est de l’ordre de la chimère », juge l’industriel Hervé Vion Delphin. A défaut d’être réalisable, l’annonce du président de la République donne le cap à suivre.