« Booksmart »

LA LISTE DE LA MATINALE

Cap sur la jeunesse cette semaine avec des adolescentes qui veulent s’encanailler et d’autres qui font face à des phénomènes fantastiques. A l’affiche également dans les salles obscures, Parasite et un documentaire sur la reine de la soul, Aretha Franklin.

« Parasite » : infiltration dans l’espace domestique

La bande-annonce de "Parasite", Palme d'or 2019 du Festival de Cannes
Durée : 01:49

Palme d’or 2019, à Cannes, Parasite marque le retour de Bong Joon-ho en Corée du Sud, dont il est originaire, après dix années de tribulations internationales. Force est de constater que le cinéaste ne s’est jamais montré plus mordant et incisif qu’à domicile, dans un pays dont il s’est plu dès ses débuts à brocarder les travers et les inégalités sociales. C’est précisément de cela que parle Parasite, ne laissant à ce titre aucun doute sur le fait que Bong Joon-ho n’est pas seulement un styliste virtuose, mais un véritable réalisateur politique.

La première image du film, fortement significative, est celle de l’entresol miteux qu’habite la famille Ki-taek. Au chômage mais soudé, le petit clan vit d’expédients, jusqu’au jour où le fils se fait engager dans une grande propriété bourgeoise du dernier cri : chez les Park, jeune couple fortuné. Or, l’arrivée du jeune homme n’est en fait que la première étape d’une opération d’infiltration très discrète, qui va conduire les deux familles à vivre côte à côte, les uns devenant les serviteurs, mais aussi les doubles secrets de leurs maîtres.

Commençant sous les auspices d’une comédie menée tambour battant, le film impressionne par sa capacité à changer de braquet, virant à l’angoisse, puis à l’horreur dans un brassage de registres ébouriffant, en quoi le cinéma de Bong Joon-ho demeure fidèle à lui-même. Chaque nouvelle scène bouscule la précédente, la déborde et relance les dés d’un récit impressionnant par son génie polymorphe. Mathieu Macheret

« Parasite », film sud-coréen de Bong Joon-ho. Avec Song Kang-ho, Lee Sun-kyun, Cho Yeo-jeong, Choi Woo-sik (2 h 12).

« Amazing Grace » : Aretha Franklin en gloire

AMAZING GRACE - Official Trailer - Aretha Franklin Concert Film
Durée : 02:04

L’évidence, la simplicité et la puissance des plans qui composent Amazing Grace s’imposent si fortement qu’on a du mal à croire à la genèse tourmentée de ce film, signé d’un réalisateur qui n’était pas présent sur le tournage. A travers tous les transferts numériques, le grain de la pellicule, le son analogique imposent pourtant leur vérité, celle d’un moment de perfection et de passion, le temps de deux récitals dans une église de Watts, en Californie, donnés par Aretha Franklin les 13 et 14 janvier 1972.

Un pasteur – le révérend James Cleveland – faisait office de maître de cérémonie, la petite foule s’était habillée plus comme un dimanche matin que comme pour aller entendre James Brown, pourtant ce n’était pas un service religieux. Ce n’était pas tout à fait un concert non plus, puisque, comme l’explique le pasteur à l’auditoire, on s’interrompra en fonction des indications des ingénieurs du son afin d’obtenir de quoi sortir un disque.

Tous ces enjeux, les opérateurs emmenés par Sydney Pollack les saisissent au vol – y compris la captation des images, le réalisateur, les cameramen passent dans le champ. Ils sont loin à l’arrière-plan dès qu’Aretha Franklin apparaît devant l’autel.

La jeune femme (elle n’avait pas encore 30 ans) impose une gravité, une intensité qui ne fléchiront jamais. La musicienne s’abîme dans le gospel, engloutissant avec elle les fidèles assis sur les bancs. Amazing Grace la montre en gloire, filmée comme peu de musiciens de sa génération l’ont été, avec respect et amour. Thomas Sotinel

« Amazing Grace », documentaire américain d’Alan Elliott (1 h 27).

« Les Particules » : des adolescents en pleine instabilité

LES PARTICULES Bande Annonce (Cannes 2019) Drame, Fantastique
Durée : 01:56

Documentariste, Blaise Harrison signe avec Les Particules son premier long-métrage de fiction. La méthodologie fictionnelle s’apparente à celle du documentaire : des jeunes gens repérés sur place dans le pays de Gex (Suisse). Tous sont non professionnels et jouent leur propre rôle à l’exception du héros, P.A. (Thomas Daloz).

Les Particules est l’histoire d’une chronique adolescente peu à peu dévorée par le fantastique. Un jour, la classe de P.A. visite dans la région l’accélérateur de particules de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), qui rejoue les conditions d’énergie du Big Bang. A partir de ce jour, le jeune homme assiste à d’étranges phénomènes qui s’apparentent à des hallucinations visuelles.

Sur le papier, Les Particules s’aventure sur le terrain connu du teen-movie fantastique. Un genre qui, trop souvent en France, ne soutient pas la comparaison avec ses modèles américains. Mais loin de simplement rêver à l’Amérique, Harrison fait pousser sa fiction là où il se trouve, dans les paysages montagneux de la frontière franco-suisse.

Sur le terrain du teen-movie, toutes les scènes y passent : les premiers émois amoureux, la fête, les scènes de classe, la bringue entre amis. Et toutes échappent miraculeusement à une sensation de déjà-vu, déjà-filmé. Cela tient à un cadrage, un dialogue, une manière de jouer sur les ellipses, de travailler le son, de regarder l’action depuis le cerveau embrumé de P.A. Une précision cinématographique qui creuse des anfractuosités et crée des contretemps dans la trame si lisse et familière du film d’adolescent. Murielle Joudet

« Les Particules », film franco-suisse de Blaise Harrison. Avec Thomas Daloz, Néa Lüders, Salvatore Ferro (1 h 38).

« Booksmart » : ces canailles de lycéennes

BOOKSMART Trailer (2019) Lisa Kudrow, Olivia Wild, Teen Movie
Durée : 02:55

L’apprentissage express – du bien et du mal, de la sexualité, des substances prohibées – est l’un des ressorts essentiels de la comédie adolescente, produit cultivé à Hollywood depuis plus d’un demi-siècle.

Booksmart, qui connaît un joli succès aux Etats-Unis, renouvelle en partie cette formule éprouvée. Plus intellectuel que Supergrave, plus féministe que La Folle Journée de Ferris Bueller, plus gentil que Mean Girls (Lolita malgré moi), le premier long-métrage d’Olivia Wilde est le résultat de savants calculs plus que le fruit d’un élan passionné. Ce qui n’empêche pas la longue nuit d’Amy (Kaitlyn Dever) et Molly (Beanie Feldstein), bonnes élèves résolues à s’encanailler, de passer comme un rêve, grâce à la précision comique de ses interprètes.

Le film commence la veille de la cérémonie de remise des diplômes, dans ce lycée un peu fauché mais que fréquentent des fils de milliardaires et des influenceuses. Amy a été acceptée à Yale, Molly à Georgetown, ce qui les a confortées dans la conviction de leur supériorité. Les deux jeunes femmes qui partagent la même propension hyperanalytique arrivent à la conclusion suivante : en se consacrant exclusivement à leurs études, elles ont été volées de leur droit à faire la fête. Leur sens de la justice les force à faire de la nuit à venir un cours de rattrapage en hédonisme californien.

Booksmart frappe autant par la minutie avec laquelle il procède à la mise à jour (mais jamais à la subversion) des mécanismes de la comédie adolescente que par le brio avec lequel l’opération est menée. T. S.

« Booksmart », film américain d’Olivia Wilde, avec Kaitlyn Dever, Beanie Feldstein, Jessica Williams (1 h 42). Sur Netflix.