Dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Paris, les dossiers de « gilets jaunes » se succèdent à la barre, mercredi 5 juin. Comme les centaines de manifestants jugés depuis le début du mouvement, les prévenus comparaissent pour « groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations » et « port d’arme prohibé de catégorie D ». Ces comparutions ressemblent à tant d’autres procès organisés depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ».

Sauf que, cette fois, la salle d’audience est pleine. Des journalistes et des « gilets jaunes » se verront même refuser l’accès. Eric Drouet est à l’intérieur. Figure médiatique du mouvement, il comparaît pour avoir participé à un rassemblement non déclaré, avec dans son sac « une matraque », selon l’accusation, « un bâton en bois », pour la défense.

« Ce que vous allez juger, c’est le mouvement des “gilets jaunes” », prévient Khéops Lara, l’avocat du routier de 34 ans, estimant que les juges doivent « avoir à l’esprit » que son client est jugé « car c’est une figure importante » des « gilets jaunes ». « Je ne défends pas un terroriste, je défends quelqu’un qui depuis trente-deux week-ends consécutifs réclame plus de démocratie et de justice sociale », rappelle Me Lara, dénonçant « une justice instrumentalisée en vue de réprimer ce mouvement ».

Dans sa déclaration liminaire, le conseil réclame la nullité des poursuites, évoquant « une procédure viciée », dans laquelle les éléments permettant l’interpellation et le placement en garde à vue de son client n’ont pas été dûment remplis. Le tribunal décide de joindre cette requête au dossier et se prononcera lors du jugement, qui a été mis en délibéré en septembre. Le procès peut commencer.

« Ils ont attrapé Eric ! »

C’est à la suite d’une manifestation non déclarée qu’Eric Drouet a été interpellé dans l’après-midi du samedi 22 décembre 2018, lors de l’acte VI du mouvement, dans le quartier parisien de la Madeleine – à distance des Champs-Elysées où avaient eu lieu des débordements. Déjà condamné le 29 mars à 2 000 euros d’amende, dont 500 avec sursis, pour l’« organisation » « sans déclaration préalable » de cette manifestation, M. Drouet, qui a fait appel de la première décision, comparaissait cette fois « pour un bout de bois », résume son avocat, qui défend le caractère « pacifique » de cette manifestation du 22 décembre.

Il en veut pour preuve deux vidéos tournées sur les lieux de l’interpellation du prévenu, rue Vignon, dans le 9e arrondissement de Paris. Sur les images diffusées à l’audience, un groupe de manifestants attend dans le calme de pouvoir sortir de la rue où les policiers les encerclent de tous les côtés. « Les CRS veulent Eric, mais nous, on le garde », lance une manifestante qui filme la scène. Adossé contre un mur, Eric Drouet discute avec quelques comparses, tout en pianotant sur son téléphone.

Alors qu’un membre du groupe invective les policiers, les forces de l’ordre décident de charger les manifestants, et interpellent Eric Drouet en une fraction de seconde, devant une foule estomaquée. « Ils ont attrapé Eric ! Essayez de le sortir de là ! Ils sont en train de le massacrer les fils de pute », hurle la vidéaste, suffoquant sous les gaz lacrymogènes, alors que le reste du groupe appelle inlassablement « Eric ! ».

Le routier est alors conduit dans une fourgonnette, à l’abri des regards. Là, les forces de l’ordre découvrent dans son sac une sorte de matraque. Il est placé en garde à vue. Lors de son audition, qui tient sur deux pages, le manifestant déclare que cet objet « se trouve toujours dans mon sac de travail » : « En tant que routier, on se fait souvent attaquer, c’est normal d’avoir de quoi se défendre. »

Eric Drouet assure que cet objet est un souvenir de son père et précise qu’il n’avait pas l’intention de s’en servir. Il aurait par la suite accepté sa destruction, « parce qu’on ne m’a pas vraiment laissé le choix ».

« Bout de bois » ou « matraque » ?

Ce « bout de bois » peut-il être considéré comme une arme de catégorie D ? Cette question animera l’essentiel de ce procès sans grand enjeu. Pour le procureur, « il s’agit d’une arme, c’est une matraque, c’est incontestable ». Et de poursuivre : « M. Drouet vient d’ailleurs de préciser qu’il l’avait justement pour se défendre en tant que routier. »

Dans sa plaidoirie, MLara rappellera que « dans le droit français, une arme le devient lorsqu’il y a eu un usage de celle-ci, du moins dans le cas d’une arme de catégorie D, lorsqu’il ne s’agit pas d’un tonfa ou d’un bâton télescopique ».

Pour le reste, à savoir le « groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations », le procureur estime également que les faits sont qualifiés, évoquant un message publié par Eric Drouet sur Facebook, peu avant son interpellation : « Rejoignez-nous ! Besoin d’aide. »

« On attendait juste que d’autres “gilets jaunes” viennent nous aider avec des avocats pour nous sortir de là », commentera Eric Drouet, le ton calme, bras croisé à la barre. « Volonté affichée de créer le désordre », rétorque le procureur, soulignant au passage que « participer à une manifestation non déclarée c’est rendre possible les violences ».

Dans un réquisitoire, le procureur ajoute que « venir à une manifestation avec une arme, tout en assurant que l’on s’y rend pacifiquement, c’est inaudible », et réclame quatre mois de sursis et 500 euros d’amende.

Me Lara défend, lui, le caractère pacifique de cette manifestation. Appelant « au bon sens » des juges, Me Lara a plaidé la relaxe, avant de laisser les derniers mots à son client : « Ça va faire bientôt trente-quatre actes que je viens sur Paris, tous les matins je pars aux aurores, après une nuit blanche passée à travailler. Je me suis toujours soumis aux fouilles, aux contrôles d’identité », rappelle le routier, estimant qu’« être accusé de ça aujourd’hui, c’est contradictoire avec mon attitude depuis le début ».

Le jugement sera rendu le 4 septembre.