Parmi les pancartes, on pouvait notamment lire : « Pas de répit, trop de mépris ». / AURORE MESENGE / AFP

Ils sont venus de Valence, de Bordeaux, d’Angers ou des hôpitaux parisiens. Après des semaines passées à faire grève munis d’un simple brassard dans leur service, quelques centaines de soignants se sont retrouvés à Paris pour faire entendre leur colère, jeudi 6 juin. « Une fois ma journée terminée, changée, je baisse la tête dans les couloirs, j’ai honte devant les patients », regrette Vanessa, depuis huit ans aux urgences de Brest, et en grève depuis le 13 mai. Elle résume son travail d’une phrase : « A force d’être maltraités, on devient maltraitants. »

Ce cortège de blouses blanches défilait à Paris à l’initiative du collectif Inter-Urgences, qui réclame une augmentation de 300 euros net des salaires, des hausses d’effectif et une meilleure sécurisation des locaux. C’est à la suite d’une série d’agressions en mars à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP) que les premières grèves avaient été lancées, suivies depuis dans plus de 80 établissements à travers le pays, selon le collectif. Partis de Montparnasse vers 14 heures, les manifestants ont rejoint le ministère de la santé, où une délégation devait être reçue dans l’après-midi.

Des mesures jugées « insuffisantes »

Jeudi matin, avant de recevoir la délégation, la ministre Agnès Buzyn avait annoncé le lancement d’une grande mission de « refondation » des services d’urgence, consciente de la « colère » et du « découragement » du personnel de ces services. Celle-ci devra aboutir à un rapport à l’automne, à l’issue d’une concertation incluant médecins et paramédicaux. Mme Buzyn a aussi souhaité, sans donner de chiffre ni annoncer de budget supplémentaire, « que l’on accompagne sur un plan financier, plus directement et plus spontanément, les établissements qui font face à un surcroît d’activité et à des afflux exceptionnels ». Autant de mesures jugées « insuffisantes » par le collectif.

A côté de Vanessa, l’urgentiste de Brest, Tanguy déplore ainsi des soins complètement « déshumanisés ». Lui non plus ne donnera pas son nom de famille, après que « les ressources humaines [RH] en ont convoqué certains qui avaient parlé à la presse ». Infirmier depuis cinq ans dans le service des urgences de Brest, il y était entré six mois après l’école. Il avait alors « la frousse », se souvient-il. « Mais aujourd’hui, je ne vois pas ce que je ferais d’autre, je suis amoureux de mon boulot », tient-il à préciser, malgré la dégradation de ses conditions de travail. Ils sont nombreux, comme lui, à avoir choisi les urgences en sortie d’école, attirés par la diversité des pathologies et l’expérience qu’ils pourraient en tirer. Beaucoup affirment cependant que les conditions de travail rendent le recrutement de plus en plus difficile.

« Ces conditions de travail, ça dissuade »

Au milieu du slogan « Urgences en colère, y en a marre de la galère » entonné par la foule, deux jeunes étudiants en médecine viennent défiler par « solidarité ». « En allant à mon stage, je voyais les banderoles du service en grève, explique Axel, en cinquième année d’externat à Paris. J’étais obligé de venir, pour les gens que j’ai rencontrés là-bas. » Avec Jordi, ils pensent à devenir urgentistes. « Mais ces conditions de travail, ça dissuade. Il y a 30 % de turnover dans ces services, les gens arrêtent. » Et son ami de confirmer : « On vient à la manifestation pour qu’il y ait des meilleures conditions aujourd’hui, mais aussi pour demain, quand on y sera. »

La manifestation parisienne a rassemblé quelques centaines de personnes entre Montparnasse et le ministère de la santé, à Paris. / AURORE MESENGE / AFP

Un peu plus loin, une dizaine d’infirmières et d’aides-soignantes des urgences pédiatriques de l’hôpital Necker, à Paris, manifestent. « Je ne suis pas encore titulaire », s’excuse Chloé (son prénom a également été changé), 24 ans. Sortie d’école d’infirmière il y a dix mois, elle était de garde cette nuit, avant de venir défiler en blouse verte : « Il y a de plus en plus d’enfants aux urgences, les parents sont anxieux, on prend du temps pour les rassurer, mais ce n’est pas suffisant, nous ne sommes pas assez nombreux. »

« Les jeunes sont jetés dans la fosse aux lions ! »

Dans son service, affirme sa collègue Odile, il y a sept postes non pourvus, sans parler du non-remplacement des congés maternité. « Soit tu changes de service, soit tu vas élever des moutons sur le plateau du Larzac », résume Inès Gay, 28 ans, infirmière à Lariboisière (Paris) depuis quatre ans et membre de l’Inter-Urgences : « Les jeunes diplômés subissent aussi les conditions de travail très difficiles, on ne peut pas toujours doubler les postes pour les former, ils sont jetés dans la fosse aux lions ! »

Maquillée de blanc, du faux sang autour des yeux, la jeune soignante regrette le turnover qui, lui aussi, dégrade les soins. « Les jeunes sont indépendants au bout de deux ans, mais les soignants dans ces services, c’est à peine plus ! Je ne sais pas comment font ceux qui y restent dix ou quinze ans. »