Une baleine échouée sur Ocean Beach, à San Francisco, le 6 mai. / Jeff Chiu / AP

Depuis vingt ans, on n’avait jamais vu autant de baleines en péril dans la baie de San Francisco. Treize carcasses ont déjà été retrouvées sur les plages en cinq mois. Pour toute la côte Pacifique, de l’Alaska à la Californie, ce sont 70 spécimens qui se sont échoués depuis janvier, contre 35 en moyenne chaque année, et 45 en 2018. Il faut remonter à 2000 pour approcher une hécatombe pareille : 131 morts, dont 83 avaient été enregistrées avant le 1er juin, date à laquelle les cétacés ont généralement fini leur migration annuelle dans le Pacifique.

Selon les experts du Marine Mammal Center de Sausalito, il s’agit aussi bien de mâles que de femelles, et leur âge est varié. La majorité sont des baleines grises. Mais le 26 mai, phénomène exceptionnel, une baleine à bosse s’est signalée par des sauts spectaculaires à Alameda Point, un recoin de la baie, à une quinzaine de kilomètres de l’océan. Le 4 juin, l’animal, amaigri, apparemment affaibli, tournait toujours en rond dans le lagon, à la consternation des riverains. Le Marine Mammal center a été submergé d’appels réclamant une intervention mais les scientifiques ont préféré éviter un remorquage risqué.

Le gouvernement s’est saisi du phénomène. Vendredi 31 mai, la National Oceanic and Atmospheric Administration, l’agence fédérale chargée de l’atmosphère et des océans, a désigné les échouages de baleine de la Côte ouest comme un « événement de mortalité inhabituelle ». Un classement qui va lui permettre de détacher une mission scientifique pour enquêter en profondeur sur les causes du phénomène et ses éventuels liens avec le changement climatique. Les biologistes vont prélever des tissus, et collecter les données sur la température de l’eau et la population de poissons. Les résultats ne sont pas attendus avant plusieurs mois.

Malnutrition

Selon les premières constatations du Marine Mammal Center, l’organisme qui a déjà sauvé 20 000 animaux marins depuis sa création en 1973, la plupart des baleines retrouvées souffraient de malnutrition. L’élévation des températures pourrait avoir contribué à la raréfaction de leur nourriture dans l’Arctique, alors qu’elles entament leur transhumance, la plus longue migration de toutes les espèces marines sur la planète. Les experts craignent que le nombre de cétacés affectés soit beaucoup plus important. Quand elles meurent, les baleines s’échouent généralement au fond de l’océan plutôt que sur les côtes.

Les baleines grises peuvent atteindre 15 mètres de long et peser jusqu’à 30 tonnes. Elles vivent 70 ans. Chaque année, début décembre, elles quittent l’Alaska pour aller se reproduire dans la mer de Cortez (Basse-Californie), à 16 000 kilomètres de là. Mi-février, elles prennent le chemin du retour.

Il est courant d’apercevoir leurs jets d’eau depuis la côte mais elles se hasardent rarement à l’intérieur des estuaires ou des ports, notamment à San Francisco, où elles risquent d’être heurtées par les quelque 7 300 cargos et supertankers qui franchissent le pont du Golden Gate chaque année. Selon une enquête du San Francisco Chronicle, sur les neuf premiers échouages de l’année, quatre avaient été attribués à la malnutrition, et quatre à des blessures causées par des bateaux (un cas n’avait pas été résolu).

Dans les années 1970, la population avait été décimée par la chasse et il ne restait plus que quelque 2 000 baleines grises lorsque le président Richard Nixon a signé, en 1972, la loi sur la protection des mammifères marins. La dernière compagnie baleinière des Etats-Unis, Del Monte, située à Richmond, au nord de la baie de San Francisco, qui fabriquait des aliments pour chiens à partir de la chair des cétacés, a fermé ses portes en 1971, juste avant que la loi ne prenne effet.

Après l’interdiction de la chasse, la population s’est reconstituée et le président Bill Clinton a pu retirer la baleine grise des espèces en danger en 1994. Aujourd’hui, le nombre de gray whales est estimé à 27 000 et leur sauvetage considéré comme l’un des principaux succès des défenseurs des animaux aux Etats-Unis.