Des soldats de l’armée mozambicaine patrouillent dans les rues de Mocimboa da Praia, le 7 mars 2018, après une attaque perpétrée par des djihadistes présumés. / ADRIEN BARBIER / AFP

« Grace à Allah le tout-puissant, les soldats du califat ont réussi à repousser une attaque de l’armée croisée mozambicaine dans le village de Metubi, près de Mocimboa, où ils ont riposté avec de nombreuses armes. » D’après un communiqué du groupe Etat islamique (EI) diffusé mardi 4 juin, des insurgés islamistes auraient « tué et blessé de nombreux soldats » mozambicains lors d’une attaque qui serait survenue la veille dans le nord du pays.

C’est la première fois, depuis l’irruption d’une insurrection islamiste fin 2017 au Mozambique, que l’EI revendique sa présence dans ce pays d’Afrique australe, d’après SITE Intelligence, une entreprise américaine de surveillance des réseaux djihadistes sur Internet. Ces deux dernières années, des insurgés ont plongé toute la province gazière du Cabo Delgado dans la terreur, en menant régulièrement des raids dans les villages où ils décapitent les hommes, kidnappent les femmes et incendient les maisons.

Dans la foulée, la police mozambicaine, qui préfère de manière générale minimiser l’ampleur du phénomène, a démenti l’existence de l’attaque tout comme la présence revendiquée de l’EI. « Ces informations sont fausses et donc il n’y a rien à commenter », a déclaré le porte-parole de la police, Orlando Mudumane, en conférence de presse mercredi. « Les forces de défense et de sécurité sont positionnées sur tout le territoire national et mènent plusieurs opérations visant à assurer en permanence la sécurité du public et sa liberté de mouvement », a-t-il ajouté.

« De la simple propagande »

Pour l’instant, cette attaque n’a pas été confirmée par des sources indépendantes. Mais contrairement à ce qu’il prétend, l’Etat mozambicain est loin d’être maître de la situation. Rien qu’au mois de mai, plus de quarante personnes ont trouvé la mort dans une dizaine d’attaques, qui sont quasi quotidiennes. L’une des incursions les plus meurtrières depuis le début de l’insurrection a eu lieu le 28 mai, lorsque seize personnes ont été tuées dans une embuscade. Pour la première fois, les assaillants ont utilisé des engins explosifs artisanaux pour attaquer un camion transportant des passagers et des marchandises. Huit personnes ont été tuées sur le coup et les autres ont été achevées sur place alors qu’elles tentaient de fuir.

Cette apparente recrudescence peut aussi s’expliquer par un surcroît d’informations venant d’une région habituellement difficile d’accès. Ces derniers mois, l’armée avait totalement bouclé la province, empêchant tout particulièrement les journalistes d’y entrer. Mais le passage du très dévastateur cyclone Kenneth fin avril a changé la donne. Son œil est passé sur le district de Macomia, où des villages entiers ont été rasés. Le gouvernement, qui devait déjà faire face au désastre provoqué par le cyclone Idai dans le centre du pays mi-mars, a été contraint de laisser passer les équipes humanitaires, et donc de rouvrir la province.

Pour les analystes, l’annonce de l’EI est néanmoins à accueillir avec prudence. « C’est de la simple propagande », a affirmé Saide Abibe, auteur d’une étude sur la violence dans le nord du Mozambique, à l’agence portugaise Lusa. « Ce phénomène a des origines locales, même s’il y a des ramifications ou des liens avec des groupes extrémistes des pays voisins », a-t-il précisé. « Alors que l’EI s’écroule au Moyen-Orient, ils affirment s’étendre globalement. Il faut mettre en lien cette annonce avec des déclarations similaires pour la République démocratique du Congo », complète un autre expert qui préfère rester anonyme.

De jeunes locaux radicalisés

Depuis avril, cinquante-sept insurgés, dont quelques Tanzaniens, ont été condamnés à des peines allant de 12 à 40 ans de prison. L’organisation et la stratégie poursuivie par le groupe troublent les experts. Surnommés « Al-Shabab », « les jeunes en arabe », ils seraient principalement issus de jeunes locaux radicalisés qui réclament une application simpliste de la charia. Si certains auraient étudié au Pakistan et en Arabie saoudite avant de rentrer au Mozambique et de s’y radicaliser, l’organisation opère de manière archaïque, avec peu d’armes et sans leader affiché. Il serait donc peu probable qu’ils soient armés ou rejoints par des éléments de l’EI.

Ce nouveau positionnement de l’EI est en tout cas une mauvaise nouvelle pour le Mozambique, au moment même où l’entreprise américaine Anadarko doit annoncer le lancement d’un méga-projet d’exploitation gazière de 25 milliards de dollars (22 milliards d’euros), le 18 juin dans la région. En février, une attaque contre l’un des sous-traitants d’Anadarko avait forcé le groupe à interrompre pendant plusieurs mois toute activité sur son site de Palma. « Les Américains pourraient en profiter pour utiliser ce prétexte afin d’imposer leurs mercenaires », estime l’expert.