Le dernier match entre Rafael Nadal et Roger Federer à Roland-Garros remonte à 2011. Ils se sont affrontés cinq fois dans le tournoi parisien depuis 2005. Le Suisse n’a jamais trouvé la faille. / MARTIN BUREAU,KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Le revenant de la Porte d’Auteuil contre le maître des lieux. Le n° 3 mondial contre son dauphin au classement. Roger Federer, contre Rafael Nadal. Depuis que le tirage au sort les a placés tous les deux dans la même partie de tableau, le clasico des demi-finales était l’objet de tous les fantasmes. Le 39e duel aura bien lieu, vendredi 7 juin. Mais au fond, on y croyait qu’à moitié. Les intéressés aussi. « Pouvoir s’affronter une nouvelle fois ici, c’est une occasion unique que peut-être ni lui ni moi n’attendions plus », concède Nadal.

Le Suisse avait séché les trois dernières éditions du Grand Chelem parisien. Pour son retour sur terre après deux années de jachère, il a plutôt convaincu à Madrid, en mai, où l’altitude rend les conditions de jeu rapides. A Rome, quelques jours plus tard, légèrement touché à la jambe droite, il n’a voulu prendre aucun risque, préférant se retirer avant son quart de finale.

De l’attaque, toujours de l’attaque, encore de l’attaque

En arrivant à Paris, Federer était dans le flou alors il affichait des ambitions très françaises. « Si j’arrive en deuxième semaine, je serais déjà très content », répétait-il. Manière de se protéger, de s’ôter un peu de pression. Mais un champion digne de ce nom nourrit forcément des attentes. C’est même ce qui le fait gagner.

A Madrid et à Rome, Federer avait fait du Federer : de l’attaque, toujours de l’attaque, encore de l’attaque. Mais on ne gagne pas Roland comme ça, surtout en trois sets gagnants, rétorquaient les sceptiques. Lui, n’a pas cherché à se renier. Face à l’Italien Lorenzo Sonego, l’Allemand Oscar Otte, le Norvégien Casper Ruud et l’Argentin Leonardo Mayer, la prise de risque était mesurée malgré tout le respect qu’on leur doit.

Contre un adversaire du calibre de Stan Wawrinka, en quarts de finale, on allait enfin être fixé. On est venu, on a vu, il a vaincu. Depuis le début de la quinzaine, « Papy » Federer ne claudique pas sur le court, il vole. Les cannes ont bientôt 38 ans mais il continue de faire la leçon aux jeunots.

Le public se pâme encore devant ses arabesques et ses coups sortis du chapeau. Son service est efficace, son revers tantôt foudroyant, tantôt ouaté, version chopée. En quarts de finale, il a su résister à la lourdeur de celui de son compatriote et, mieux, le neutraliser. Certes, il lui arrive de vendanger au smash ou au filet, mais la légende encore vivante repousse un peu plus chaque jour la date limite de consommation.

Comme un compte à régler

Au moment où il se qualifiait pour les demi-finales, mardi, Rafael Nadal achevait, lui, son travail de sape face à Kei Nishikori. Le Japonais eut le droit au même traitement que les quatre adversaires précédents, et que la petite centaine de victimes du Majorquin à Roland : une masterclass. Seul le Belge David Goffin a réussi à lui prendre un set en huitième.

L’Espagnol avait démarré sa tournée plus bas que terre – une défaite à Monte-Carlo, en avril, la « pire de sa carrière » sur ocre – mais le Phenix a ressuscité juste à temps : demi-finale à Barcelone (fin avril) et Madrid, victoire à Rome. « J’ai progressé tout au long de ma saison sur terre. C’est maintenant le moment de jouer à mon plus haut niveau et j’espère arriver à le faire », disait-il à la veille des hostilités.

Huit ans que les deux hommes ne s’étaient plus affrontés… La première fois, Nadal avait 19 ans, Federer 23. Cinq duels (2005, 2006, 2007, 2008 et 2011), cinq dénouements identiques. A Roland, le Suisse n’a jamais trouvé la faille pour déchoir le roi.

« Mon prochain adversaire, il est correct, il sait jouer au tennis », plaisanta-t-il sur le court, après son quart de finale. Avant d’ajouter, redevenu sérieux, un peu ému : « Si je suis revenu à Roland-Garros c’est peut-être aussi pour pouvoir y rejouer une fois Rafa. Voilà j’ai mon match. »

Comme si le Suisse, qui a soulevé la coupe des Mousquetaires il y a dix ans, l’année où Nadal est tombé pour la première fois (2009, contre Soderling), avait un compte à régler. « Pour que le rêve soit complet, il faudrait gagner le tournoi et soulever la coupe des Mousquetaires une nouvelle fois. Mais bon, il y a encore des gars, ici, qui en veulent autant, à commencer par un certain Rafa… »

Compter sur un signe de la providence

Face au soldat napoléonien et sa science du terrain, le vieil empire russe n’a pas dit son dernier mot : « Je veux continuer d’y croire. Ce sera un vrai choc vendredi. » L’outsider n’a rien à perdre. « Il va falloir jouer le tout pour le tout. Jouer sans peur. » Il voudra à coup sûr prendre d’assaut le filet, raccourcir les échanges, ne pas s’épuiser dans des rallyes de fond de court.

« Il va jouer de manière agressive, ça va être à moi de trouver les solutions pour le mettre en mauvaise posture, sinon, c’est moi qui vais avoir des problèmes… », avance Nadal. Lui dégainera l’arme fatale, celle qui a toujours annihilé le revers du Suisse : le coup droit lifté, qui prend l’adversaire à la gorge jusqu’à l’asphyxie.

« Je dois faire en sorte que tous les matchs gagnés face à lui sur cette surface pèsent », estime encore l’homme aux onze titres, qui disputera son 94e match en ces lieux : 91 victoires, deux défaites à ce jour.

L’équation paraît insoluble pour le Suisse : c’est simple, sur la terre battue parisienne, Nadal n’a jamais perdu contre un revers à une main. Sauf à compter sur un signe de la providence.

C’est précisément ce sur quoi compte Federer : « Contre n’importe quel joueur, il y a toujours une possibilité. On sait tous que contre Rafa, ça va être difficile. Mais on ne sait pas, il aura peut-être un problème, il sera peut-être malade, plaisanta-t-il mardi. Peut-être que je vais très, très bien jouer et que lui va lutter pour une raison ou une autre : il peut y avoir énormément de vent, de la pluie, dix interruptions successives à cause d’elle… »

S’il réussit l’exploit, il corrigerait la seule anomalie de son interminable palmarès. Sinon, « Dieu » redescendra sur terre.