En 2018, 201 000 Européens se sont installés au Royaume-Uni (la moitié pour y travailler) et 127 000 en sont partis. / JUSTIN TALLIS / AFP

La scène se passe début juin, lors d’un cocktail à l’ambassade de France à Londres, après une remise de décoration. Un groupe d’expatriés de longue date discute. Rapidement, la conversation dérive vers les départs que chacun voit autour de soi. « Ceux qui sont dans de grandes entreprises ne bougent pas vraiment, mais ceux qui sont à leur compte, ou qui peuvent se le permettre, commencent à partir, témoigne une Française installée à Londres depuis trente ans. Avec le Brexit, tout le monde se pose la question. »

Depuis le référendum sur la sortie de l’Union européenne, en juin 2016, le Royaume-Uni attire moins. S’il n’y a pas eu d’exode, des expatriés commencent à quitter le pays au compte-gouttes. Aujourd’hui, pour eux, c’est une histoire de verre à moitié plein ou à moitié vide. Avec ses salaires intéressants, son cadre de vie agréable, son chômage au plus bas et sa langue anglaise, le pays demeure l’un des plus attractifs au monde. Mais il l’est beaucoup moins qu’autrefois.

Les statistiques sur Indeed.fr, un site de recherche d’emploi, sont parlantes. L’an dernier, 10,9 % des recherches effectuées en France pour un poste à l’étranger se dirigeaient vers le Royaume-Uni, plaçant le pays en troisième position (loin derrière la Suisse, à 32 %, et juste derrière les Etats-Unis, 11,9 %). Il s’agit néanmoins d’un recul d’un demi-point par rapport à l’année précédente. « Le Royaume-Uni voit son attractivité se réduire et les recherches sont de plus en plus limitées au domaine de la finance et aux contrats de stage », note Alexandre Judes, d’Indeed.

Le Bureau britannique des statistiques confirme cette tendance de fond. En 2018, 201 000 Européens se sont installés au Royaume-Uni (la moitié pour y travailler) et 127 000 en sont partis. Le solde net, soit 74 000 personnes, est deux fois et demie moindre qu’au moment du référendum et atteint son plus bas niveau depuis 2012, quand le pays se remettait à peine de la crise financière.

Un solde migratoire historiquement élevé

La tendance est donc à un fort ralentissement. Il s’agit néanmoins d’un flux positif vers le Royaume-Uni. En ajoutant les non-Européens, le solde migratoire du pays était de 258 000 personnes en 2018, ce qui reste un niveau historiquement élevé et… quatre fois et demie plus haut qu’en France.

Le réseau social LinkedIn fait le même constat. Depuis mi-2017, le nombre d’Européens membres du réseau qui ont quitté le Royaume-Uni équilibre le nombre d’arrivées. Inversement, il reste un flux positif de non-Européens. « Notre analyse est que le Royaume-Uni est devenu un endroit moins attirant qu’autrefois pour les chercheurs d’emploi qui habitent dans les autres pays de l’Union européenne », conclut LinkedIn.

Le tarissement des expatriés européens ne vient toutefois pas d’un quelconque ralentissement du marché de l’emploi. Outre-Manche, le chômage n’a jamais été aussi bas depuis quarante ans, désormais à 3,8 %, un point de moins qu’au moment du référendum.

En revanche, la chute de la livre sterling, de 15 % par rapport à l’euro depuis trois ans, rend les salaires beaucoup moins compétitifs. L’impact est particulièrement fort pour les Européens de l’Est, arrivés en très grand nombre depuis l’entrée de huit pays de cette zone dans l’UE, en 2004. Pour les Polonais notamment, qui travaillent en grand nombre dans les exploitations agricoles, les usines et les maisons de retraite, le Royaume-Uni est désormais moins intéressant.

Des incertitudes sur le statut des travailleurs européens

L’incertitude qui entoure le statut des Européens post-Brexit pèse aussi lourdement. Tous les citoyens des Vingt-Sept membres de l’UE résidant actuellement au Royaume-Uni conserveront en principe les mêmes droits. Mais les hésitations à répétition du gouvernement britannique sur le sujet, qui a soufflé le chaud et le froid, n’ont pas aidé à rassurer.

Ces aléas pourraient cependant n’être que temporaires. Le Brexit n’est pas encore effectif (son entrée en vigueur, déjà repoussée deux fois, doit en principe avoir lieu le 31 octobre) et sa forme reste à déterminer. S’il se passe bien, le pays pourrait rapidement redevenir attirant. Une étude de HSBC publiée en janvier plaçait même le Royaume-Uni en troisième position des pays les plus plébiscités par les expatriés en quête de nouveaux défis professionnels, derrière l’Allemagne et le Bahreïn. Etrangement, il s’agissait d’une forte progression par rapport à la neuvième place des années 2016 et 2017. Si le résultat de ce genre de sondage (auprès de 22 000 expatriés dans 168 pays) est à prendre avec des pincettes, il prouve que les forces du Royaume-Uni dépassent largement la conjoncture politique actuelle.

Plus de 5 000 personnes attendues au Forum Expat 2019

Le Forum Expat se tiendra les 12 et 13 juin au Carreau du Temple, à Paris. Cet événement créé par Le Monde en 2013 réunit des acteurs économiques, universitaires et diplomatiques pour répondre aux enjeux de la mobilité internationale : comment préparer son départ et surtout son retour ? A quelle protection sociale se vouer ? Comment construire son patrimoine ?

Cette 7e édition organisée autour de trois thématiques – mobilité professionnelle, gestion de patrimoine et vivre au quotidien – décryptera l’expatriation selon les motivations de départ : pour se former en Allemagne, pour travailler au Canada, pour investir à l’île Maurice.

Le Forum fera deux focus sur l’Europe, destination privilégiée pour plus de 50 % des expatriés français : l’un sur la République tchèque et l’autre sur l’impact du Brexit. Une dizaine de destinations seront dûment représentées : l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni, la République tchèque, l’île Maurice, les Etats-Unis, le Canada et la Nouvelle-Zélande.

Le mercredi 12 juin de 10 heures à 21 heures et le jeudi 13 juin de 10 heures à 18 heures. Au Carreau du Temple, 4, rue Eugène-Spuller, 75003 Paris. Entrée gratuite, inscription sur www.leforumexpat.com