Elle n’avait pas l’air d’y croire. Quand son dernier smash a rebondi hors de portée de la raquette de Marketa Vondrousova, Ashleigh Barty a commencé par lever les bras aux cieux. Avant de se raviser, portant ses mains à la tête, incrédule sous les hourras du public. A 23 ans, la jeune Australienne a remporté, samedi 8 juin, l’édition 2019 de Roland-Garros (6-1, 6-3).

« Cette quinzaine, les étoiles se sont alignées pour moi, a souri la joueuse en conférence de presse, la coupe Suzanne-Lenglen juchée à ses côtés. C’est juste incroyable. Je n’aurais jamais rêvé d’être assise, ici, avec ce trophée. » Et pour cause. Il y a à peine plus de trois ans, Ashleigh Barty était aux antipodes d’un titre de Grand Chelem. La jeune femme avait remisé ses raquettes pour une batte de cricket et un retour au pays. Un besoin d’appuyer sur pause.

Adolescente prodige, Ashleigh Barty a remporté le tournoi de Wimbledon chez les juniors en 2011, à l’âge de 15 ans. Et avait embarqué à bord du train du professionnalisme sans tarder. Deux ans plus tard, elle disputait la finale du double (senior) du Grand Chelem londonien. Mais en septembre 2014, elle a choisi de sauter du train en marche. Cette vie de joueuse professionnelle, celle qui faisait du tennis depuis l’âge de quatre ans ne l’avait pas vraiment choisie. Incapable d’apprécier le jeu, les voyages incessants et la charge de travail requise pour intégrer le plus haut niveau, « Ash » aspirait « juste à vivre une vie normale ».

« La compétition me manquait »

Exilée volontaire des courts, elle se prend de passion pour le cricket, et y montre des prédispositions. Au point de disputer quelques rencontres professionnelles avec une équipe de Brisbane. « J’étais une joueuse moyenne, a-t-elle précisé, en mars, dans le New York Times. Je suis bien meilleure au tennis. » Mais dans ce sport d’équipe, elle expérimente le collectif, et se sent acceptée, « que je réussisse ou pas ».

Mais elle « ne claque jamais la porte du tennis ». Après deux ans de break, l’appel de la balle jaune se fait pressant. « La compétition me manquait. Les hauts, les bas, les batailles, les émotions qui vous submergent quand vous gagnez ou perdez. Il n’y a qu’en jouant que vous les atteignez. » Ressourcée, la jeune femme n’hésite pas. « On voit la vie différemment à 20 ans qu’à 16 ans, assure-t-elle à son retour. On comprend qu’il faut sacrifier des choses pour en récolter les fruits. » Elle redevient joueuse de tennis, mais cette fois, elle l’a choisi.

A son retour dans le classement WTA (des joueuses professionnelles), il y a pile trois ans, Ashleigh Barty occupe la 623e position. « Jamais je n’aurais pu rêver de remporter un titre du Grand Chelem alors », a souri après sa victoire la nouvelle n°2 mondiale.

Sa progression est fulgurante. Dès la fin 2017, elle remonte à la 17e place mondiale et remporte son premier titre en Malaisie. D’autres suivent. Sur le court, Ashleigh Barty est souvent à l’attaque. Loin d’être la joueuse la plus imposante physiquement du circuit – à 1,66 m sous la toise, c’est la plus petite du top 10 –, elle développe un jeu détonnant et varié. « Je ne suis pas si petite que ça, rétorque-t-elle à un journaliste s’étonnant de sa puissance. Je suis normale ! » Avant d’élaborer. « J’ai progressé naturellement, devenant de plus en plus forte, bien que cessant de grandir [rires]. On a façonné un style de jeu unique, pour que je puisse croire en moi, et me servir de mes armes. » Des aptitudes, notamment au filet, consolidées par la pratique du double au plus haut niveau – elle a remporté l’US Open l’an passé.

« Personne n’est plus intelligent sur le court qu’Ash Barty »

Son revers slicé, l’un des meilleurs chez les dames, est létal, mais elle alterne ses coups, disposant d’un arsenal fourni, et apprécie dénicher et exploiter les failles dans le jeu adverse. « C’est un peu comme un puzzle, ou un jeu d’échecs, expliquait-elle après sa victoire en quarts contre Madison Keys. Mes coachs m’ont appris le plus de coups possible, et c’est à moi de prendre les bonnes décisions. » Ce que résume son compatriote Pat Cash, désormais consultant pour Eurosport : « Ce n’est peut-être pas la joueuse la plus puissante, mais personne n’est plus intelligent sur le court qu’Ash Barty ».

Ashleigh Barty succède à Simona Halep, et a soulevé la coupe Suzanne-Lenglen. / KAI PFAFFENBACH / REUTERS

Favorite de la finale – et seule tête de série encore en lice dès les demi-finales –, Ash Barty a assumé sur l’ocre ce statut qu’elle rejetait pourtant. « Je pénètre dans un nouveau territoire », insistait-elle avant les demi-finales. Dans une rencontre de néophytes, la jeune femme a rapidement pris la mesure de la Tchèque Marketa Vondrousova, un brin tétanisée par ses premiers pas sur le Central. « Je n’arrêtais pas de me répéter “tu n’auras peut-être plus jamais cette opportunité, donc saisie la à deux mains”. »

Dans ce duel de taquineuses de balle, l’Australienne a été la première - sinon la seule - à installer son jeu, plaçant avec aplomb son redoutable revers slicé. En moins d’une demi-heure, elle remportait le gain d’une première manche à sens unique. Si le deuxième set a été plus accroché, jamais Barty n’a laissé entrevoir la moindre faille dans laquelle la jeune Tchèque, spécialiste en la matière, se serait faufilée. « Elle m’a tout simplement donné une leçon », a reconnu Vondrousova.

« Je ne serais pas là si je n’avais pas fait ce pas de côté »

Désormais à l’aise parmi l’élite mondiale et persuadée d’être « compétitive face aux meilleures du monde dès [qu’elle] peut jouer son jeu », Ashleigh Barty deviendra lundi la N°2 au classement WTA. La jeune femme qui revendique ses origines aborigènes - du côté paternel, elle descend du peuple Ngarigo - est la première Australienne titrée à Roland-Garros depuis Margaret Court, quintuple vainqueure des Internationaux de France entre 1962 et 1973.

« Ce qu’elle est en train d’accomplir est incroyable, l’a adoubé son compatriote, l’immense Rod Laver avant les quarts. Il y a quelques années, c’était surtout une bonne joueuse de double. Mais quelque chose s’est passé. Elle sait maintenant comment gagner des matchs. » Après la finale, « The Rocket », désormais âgé de 80 ans, a été l’un des premiers à venir féliciter la nouvelle étoile du tennis australien.

Avec son pays, elle aussi est en finale de Fed Cup (les Françaises avaient insisté sur ce fait pour évacuer certaines critiques sur leur parcours Porte d’Auteuil). Mais avant de recevoir les Bleues fin novembre, Ashley Barty est devenue reine sur leurs terres. « Je ne serais pas là si je n’avais pas fait ce pas de côté il y a trois ans, a souri la lauréate. Je ne sais même pas si je jouerais encore au tennis. J’en avais besoin à ce moment, et j’ai l’impression que j’ai pris alors la meilleure décision. » Avant de conclure : « et c’était une encore meilleure décision de revenir ! » L’ovation du Court Central le confirme.

Pourquoi les femmes jouent-elles en trois sets plutôt qu'en cinq ?
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